Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 10:38

 

 

 

Ce que le courir est au cheval.

 

 

 

La nuit est tombée.

Sur moi.

Pour de bon.

Autrefois il y avait des crépuscules. J'ai senti les derniers rayons. Agnès est venue me chercher sur le balcon ouest. Elle a poussé mon fauteuil jusqu'au salon, et m'a aidé à passer sur le divan. Aveugle et paraplégique.

 

La nuit ne tombe pas. On voyait d'abord le noir couler dans les vallées, puis monter à l'assaut des sommets, comme une mer.

Lyon vu de Fourvière le soir c'est pareil. Les ruelles se remplissent d'ombre puis d'obscurité. Les tours résistent plus longtemps, et les clochers semblent tenir contre la corruption nocturne. J'aime bien la Croix-Rousse où nous vivons aujourd'hui.

 

« Nier, croire, et douter bien, sont à l'homme ce que le courir est au cheval. » Son fort. Il savait de quoi il parlait le vieux Blaise! Pour ce qui est de penser du moins. Non, la course n'est plus mon fort. Réflexion et ressassement. J'étais un bourrin. Un flic de terrain. Avant.

 

Le jour ne naît pas de la nuit, non plus qu'il ne l'enfante. Il est pour lui-même et se déplace, passager passant de l'espace. Il fait toujours nuit quelque part. Pour moi c'est toujours et partout.

Depuis ce fameux jour, fauteuil roulant. Sans canne blanche.

Agnès ne me quitte pas. J'ai honte de la mobiliser comme ça. Toutes ses journées.

Jamais elle ne se plaint. Pas un regret. Depuis trois ans.

Je me rappelle le début de notre vie commune. On n'a guère eu le temps de se lasser.

C'est l'ironie du destin que cela arrive au compagnon d'une femme médecin.

 

C'est la lumière qui crée le temps, l'espace, la vie. Avant elle, ténèbres seulement.

La mienne c'est Agnès. Ma chaleur. Lorsqu'elle s'approche je la vois. Semblable à elle-même. Elle ne vieillit pas.

 

Faut-il louer l'oubli, avocat des ténèbres?

 

J'ai du temps pour tout retourner dans ma tête.

L'avant l'après l'amour la cécité la mort. Comment suis-je devenu à la fois l'aveugle et le paralytique de la fable? Ils voyaient et marchaient, comme nous deux. Agnès marche et voit pour deux.

Qui m'a chassé de la lumière et du mouvement ce jour-là? Lundi de Pâques. Jets de pavés sur le commissariat. Je mange sur le pouce. Le soir repas chez nous avec Agnès, bouleversée comme si cet incident n'était qu'une partie de la catastrophe. Elle pressentait ce qui allait m'arriver. Sa compassion était déjà dans ses yeux.

Le lendemain j'étais aux urgences, à demi-mort.

 

Nous sommes des égoutiers. Mon quotidien? La crasse morale. Glauque. Un malfaiteur m'échappe par une traboule sombre, humide, puante. Le travail me bouffait. C'était de la rage.

Je me suis fait quantité d'ennemis. J'ai serré des macs, des braqueurs. C'était avant. Avant la nuit.

Aujourd'hui? C'est une deuxième lune de miel, dans la nuit.

 

Qui nous a fait ça? Un caïd vindicatif? Ali? Un jour il m'a fait le signe éloquent de l'égorgement, le bout du pouce promené sur son cou d'une oreille à l'autre... Non. Un homme comme lui n'emploie pas le poison. Plutôt Beppe le Sicilien dans ce genre rusé. Ce salaud-là avait trente putes dans des fourgons Quai de Gerland.

Je m'égare. Un peu exprès. Dur de se concentrer. Le patron d'un tripot clandestin des vieux quartiers?

 

Sur mon affaire, il y a longtemps que mes collègues ont enquêté. Sérieusement, je le sais. L'esprit de corps a joué. Lorsque l'un d'entre nous est victime d'un malfrat, on serre les coudes. On est des potes, des camarades de combat.

Les analyses ont détecté des toxines qui attaquent le système nerveux. Agnès m'a expliqué.

Rien de suspect dans les restes de nos repas ni chez le marchand de sandwiches. Rien dans la bouteille entamée.

Je tourne autour de ma peur comme dans un rêve éveillé. Qui pouvait connaître mes habitudes? Plus on est proche mieux on se connaît.

Qu'est-ce que j'ai absorbé que l'on n'a pas analysé? Agnès avait mangé et bu comme moi...

Les toxines étaient peut-être dans mes comprimés anti-hémorragiques quotidiens?

 

Cette nuit cauchemar. Ils avaient enlevé Agnès. Je me suis réveillé en sueur. Elle m'a parlé doucement. L'amour nous a apaisés. Je me suis rendormi dans ses bras.

 

Qu'est-ce ce qui a changé, et qui en profite?

Plus d'enquêtes pour moi, bien sûr. Ma vie d'avant c'est fini. Mais nous sortons. Hier chez Léon. La gastronomie lyonnaise m'est encore permise... On va à l'Opéra Nouvel, à l'Auditorium.

Pauvre Agnès. Elle, ce qu'elle a gagné au change c'est d'être toujours à s'occuper d'un infirme. Elle est extraordinaire. Toujours souriante. Comme si elle vivait ça très bien. Mais je sens un voile dans sa voix. Une pointe de compassion ?

 

Pour mes réflexions aussi c'est le noir total. Plus je cherche parmi mes ennemis plus je sens que je fais fausse route. C'est peut-être le refus de rompre avec mon passé, avec mon métier.

 

Plus j'avance plus je sens que la vérité me crève les yeux, si j'ose dire. Sarcasme du destin : comme si ma cécité était une métaphore de l'aveuglement. Une évidence telle que seul son caractère insupportable empêche de la percevoir. Un abîme vertigineux: s'approcher c'est être englouti.

Je bois. Toujours non formulée, l'idée revient, comme une panthère. La seule chose dont je puisse encore avoir peur.

 

Non! Je deviens fou. Idiot. Pourquoi aurait-elle fait ça? Elle m'aime plus que tout. Presque trop. Ce serait pire que se frapper elle-même. Elle ne vit que pour moi. Nous ne sommes vraiment qu'un.

- Et avant aussi?

Tout à coup la conviction absolue. Et la résolution.

 

Le jour n'est qu'une intermittence dans la nuit où il commence et où il finit.

 

Nous retournerons en montagne. J'ai dit : «je veux sentir à nouveau l'air de là-haut. Le vent. Le parfum des résineux et le cri des choucas.» Sûr qu'elle sait que je sais.

La Montagne de l'Epine domine le lac d'Aiguebelette en Savoie des trois cents mètres de sa falaise. Elle me hissera par les sentiers avec la Joélette, cette brouette légère faite pour les infirmes.

Je voudrai voir le Lac. Je me lancerai dans le vide, et je sais qu'elle me suivra.

Partager cet article
Repost0
2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 10:31

 

La bête bête qui monte (fable express)

 

Une fourmi entreprend l'ascension d'une herbe flexible.

Elle n'a pas l'idée, dans sa petite cervelle,

bien plus petite qu'un petit pois

que son poids, même minime

fera fléchir le fin fétu.

Plus elle monte plus fléchit l'herbe qui s'amincit toujours davantage, et plus chaque pas augmente , avec le bras de levier, distance à l'axe de rotation, le moment du poids de l'animal.

Jusqu'au moment où plus la bête monte, plus elle descend, la pointe du végétal venant frôler son pied.

Moralités:

Les extrêmes vont se toucher.

La fourmi n'est pas plus mécanicienne qu'elle n'est prêteuse.

À grimper sur les brins d'herbe on économise la descente.

L'aller peut aussi être un retour.

Partager cet article
Repost0
2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 10:14

 

Gavage, rage, ravages.

 

10/10/1991.

 

On dirait une dame ordinaire, «d'un certain âge», comme on dit. Elle porte de grosses chaussures d'homme, qui cadrent bien avec une musculature de sportif confirmé. Ses lunettes rondes, certes, jurent un peu avec tout ça, comme la lecture du Monde. Mais elle lit par-dessus. C'est Gudrun.

Gare de Strasbourg. Je viens de monter dans le train. Jeans, baskets, un sac de plage. Mon look de journaliste de reportage.

Je n'ai pas eu de peine à la trouver. Je savais dans quelle voiture. Elle était déjà là, seule dans son compartiment. Je suis entré et je lui ai serré la main. Le train démarre, le quai défile. Je lance « La gare demeure, et ne se rend... nulle part. » Gudrun a un rire forcé. Nous savons tous deux que c'est pour exorciser les choses terribles.

Nous sommes en route pour Paris. Cet automne l'équipe olympique d'athlétisme allemande va s'entraîner avec l'équipe de France. Coopération, rencontre amicale.

Cela fait deux ans que le mur de Berlin est tombé. J'y suis allé : une sacrée fête! Des jeunes debout sur le mur. Qui attaquaient le béton armé armés de simples pioches! Depuis, en Europe, l'euphorie est un peu retombée, surtout chez les sportifs de haut niveau, qui voient avec appréhension la concurrence de ce pays réunifié. Et surtout chez les dames. La République Démocratique Allemande alignait des championnes redoutables qui avaient fait des prouesses à Moscou en 1980. Et à Séoul en 1988 le total des médailles de la RFA et de la RDA aurait placé l'Allemagne au premier rang. Bien sûr tout le monde savait que ces athlètes ne devaient pas leurs performances uniquement à l'entraînement, mais la lutte antidopage manquait de conviction et d'efficacité. Les jeux de Barcelone de 1992 devraient avoir un retentissement planétaire. Ce seront les premiers sans boycott annoncé depuis vingt ans.

Je suis chargé par mon journal de couvrir ces échanges franco-allemands entre équipes olympiques. Bien sûr je ne suis pas seulement journaliste, et cette couverture des événements n'est qu'une « couverture »! Tout comme le rôle de la quelconque dame d'un certain âge pour Gudrun. Gudrun Haffner. Athlète à la retraite. Ex-championne olympique d’heptathlon.

D'habitude toujours en survêtement, elle a mis un tailleur. Son air est un peu emprunté, celui d'une enfant turbulente habillée en dimanche. Mais sans un atome apparent de joie. On lui donne largement la cinquantaine. Elle en a trente-cinq, force de l'âge et âge de la force plutôt que certain âge.

 

Quelque part dans le wagon on entend de gros rires mâles, des chansons en allemand. Sur le rythme des roues de fer heurtant les jointures des rails, les poteaux électriques passent, grands bras noirs ramenant inlassablement vers le bas les câbles qui remontent vers le ciel peu à peu plus sombre.

 

Je complimente Gudrun sur son allure très réussie. Je redouble d'éloges pour les chaussures: « excellente idée les Paraboots! Les gens croient que, pour ne pas exciter la méfiance, il faut chercher à passer inaperçu. Toi tu as été bien plus habile en affichant un détail pour faire oublier le reste.. Comme les élégantes du XVIIIe siècle qui mettaient une mouche pour distraire l'attention d'un défaut physique. Comment une personne qui ose se rendre aussi visible pourrait-elle être suspecte? »  Puis, après un temps: « tu es toujours décidée? »

Elle me sourit de son sourire triste.

« En allemand on dit exactement « la vengeance est un plat qui gagne à être mangé froid. » Elle connaît parfaitement le français et ses locutions. Elle vit en France depuis quatre ans, et n'a qu'un léger accent. « Ils sont tous là? »

Je confirme: tous les soigneurs, médecins, kinés, entraîneurs des athlètes accompagnent l'équipe allemande. Ses vieilles connaissances sont parmi eux.

On entend leurs chansons à boire, mêlées aux claquement des chopes. Il y a de l'ambiance. La sobriété, c'est bon pour les sportifs. L'équipe technique s'en dispense.

Je regarde le journal qu'elle a en main: « 8 septembre 1991, c'est le numéro que je t'ai passé!

  • Oui, dit-elle, bien sûr. Il y a un mois de cela et je jurerais que c'était hier. C'est ce qui a fini de me décider, je te l'ai dit au téléphone. »

Je relis l'article que j'avais entouré en rouge: « Un livre accuse le sport est-allemand « Le livre Porte-documents, Documents sur le dopage, qui vient de paraître et auquel Der Spiegel vient de donner un large écho, jette un jour cru sur l'histoire du sport allemand.

Nombre d'athlètes de l'Est, femmes notamment, comme Heidi Krieger, y ont découvert la nature des produits qui leur étaient administrés: l'Oral Turinabol, par exemple, un stéroïde anabolisant. Les doses étaient 35 fois supérieures aux teneurs naturelles. Et les hormones: Heidi a reçu pendant 29 semaines deux fois plus de testostérone qu'un homme n'en produit. »

Cette information, je la connais par cœur: sur 10 à 12000 athlètes dopés, 1000 environ victimes de graves troubles de santé. Et finalement l'impunité pour les responsables, qui ont pourtant fait « des aveux historiques. » Pire : les entraîneurs, préparateurs physiques, médecins du sport spécialistes du dopage sont toujours en place. Comme si on répugnait à se passer de leurs compétences... Gudrun est volontiers sarcastique: « Mon Pays est très écolo. Imbattable pour le recyclage des ordures! On va donner un bon coup de pied dans la fourmilière! Avant-hier, quand tu m'as annoncé que c'était pour aujourd'hui, j'ai été soulagée. » En moi aussi l'impatience de l'attente a fait place à l'excitation de l'action. Même si le vrai travail est pour elle.

 

Je suis resté dans mon compartiment. Ce qui suit, je le sais essentiellement par Gudrun. Bien sûr, ces feuillets ne sont pas destinés à la publication. Pas avant longtemps, en tous cas. Je me parle à moi-même. Pourquoi transcrire tout ce qu'elle m'a raconté? Pour l'expulser de moi. Je suis complice.

Et j'interprète. Est-ce que je ne suis pas non plus contraint d'inventer un peu pour assurer la cohérence, la continuité? Il faut combler les blancs. Velléités littéraires et narcissiques! Rêve ambitieux d'un journaliste raté...

 

Gudrun se lève. « J'y vais. » Elle sort dans le couloir. Arrivée devant le compartiment des hommes qui boivent, elle actionne le petit levier, et fait coulisser la porte. « C'est occupé! » dit Hans Bremer en français. Elle répond en allemand: « Tu ne me reconnais pas, Herr Bremer, mais moi je te connais. Toi aussi, Friedrich, et toi Karl, et vous, Herr Bauer. Je vois que vous ne vous quittez pas, les ex de chez Honecker... Je suis Gudrun Haffner. Il y a plus de sept ans que nous ne nous sommes plus vus. Mais j'ai beaucoup pensé à vous. »

Les buveurs se regardent. Ils ne savent pas si c'est du lard ou du cochon. Leur esprit pédale dans la choucroute. L'odeur de la bière le dispute à celle du chemin de fer: relents de tabac froid et de créosote d'avant les traverses en béton. Ils se servent à un tonnelet pression.

« Si vous aviez reçu de mes nouvelles, vous sauriez que j'ai eu quelques ennuis de santé. Mais j'ai entretenu ma condition physique, et continué à pratiquer. J'ai ajouté à mes spécialités d'athlétisme les arts martiaux. Et chaque jour que Dieu fait, j'ai pensé à vous. » Elle grimace un sourire. « Entre 1975 et 1980, vous m'avez préparée pour les jeux de Moscou, avec le succès que l'on sait. Il faut reconnaître que les stéroïdes anabolisants, comme on dit maintenant, c'est beaucoup plus efficace que l'EPO. « Pour les femmes » s'entend. Disons plutôt « pour le sport dit féminin » parce qu'au bout de dix ans, nous les athlètes de RDA, étions à peu près aussi féminines que notre République était démocratique! Ce matin, comme tous les matins, avant de me maquiller, je me suis rasée. »

Les hommes écoutent, gênés. Mais, parce qu'ils sont huit, qu'ils ont bu, qu'ils sont vulgaires et qu'ils sont gênés, ils se regardent, et un, puis deux autres, ricanent.

« Ҫa vous fait rire? Et que je n'aie pu ni me marier ni avoir d'enfant, ça vous fait rire?! » Elle l'a crié d'un air tellement haineux qu'ils ont presque eu peur. Mais huit hommes habitués aux conflits, aux combats du stade, peuvent-ils avoir peur d'une seule femme? Et, qui pis est, se l'avouer?

« T'as qu'à virer gouine! »

Elle méprise la répartie: « Pff... ! Aujourd'hui... J'ai un cancer incurable. Voilà, messieurs. Non pas pour me plaindre. Je voulais que vous sachiez ceci pour comprendre la fin de l'histoire. Parce que c'est votre histoire... et sa fin.. »

Sur ces mots, elle sort. Vous imaginez les répliques qui se télescopent:

« -Ben! Et alors? La suite?

-Tu l'avais reconnue?

-Comment veux-tu? A trente ans elle était finie. Tu as vu à quoi elle ressemble?

  • Tu as remarqué les godasses?

  • C'est vrai que pour un peu nos championnes auraient pu devenir des champions!

  • Attends! Au moment où elle nous parle de la suite de l'histoire, elle s'en va. Comment vous voyez ça, vous?

  • Elle n'a pas l'air de nous aimer beaucoup.

  • T'as quand même pas peur?! Que veux-tu qu'elle te fasse?

  • Allez, on va pas se mettre martel et faucille en tête: on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs. C'est grâce à nous si notre pays a gagné ses 39 médailles en 1980, rien qu'en athlétisme! Et 126 en tout, rien que pour l'Est! Il n'y a que les camarades soviétiques qui aient fait mieux.

  • Je te rappelle quand même que les américains n'étaient pas là.

  • Et alors?! Ils n'avaient qu'à y venir!

  • Ouais, faut pas venir nous chercher en pleurant sur les pauvres athlètes...! Buvons un coup à la santé des futurs survivants et n'y pensons plus!

  • Tu as raison, Horst: eins, zwei, g'suffa! »

C'est vrai, depuis trois ans, ils en ont éclusé de la mousse. Et à force de boire pour oublier, on ne se rappelle plus pourquoi on boit. Karl-Heinz,qui passe pour le poète de cette compagnie, a l'alcool triste et l'humour sombre. Il dit « j'ai écrit sur la première page de mon agenda « penser à oublier ». Et je n'arrive jamais à me rappeler quoi. » Les autres rient. Lui non.

 

Friedrich Dresder a besoin de mouvement. Il fanfaronne: « Je vais voir ce qu'elle fabrique, cette pétasse! » Au bout du couloir, le soufflet qui permet de passer dans la voiture à bagages est ouvert. Gudrun a ouvert avec un carré que je lui ai fourni. Elle a trouvé les équipements sportifs. Elle a choisi un javelot, et a mis dans un sac un poids et un marteau de lancer. Elle a soulevé le tout comme s'il s'agissait d'un sac à main. Elle est à l'affût, dans l'obscurité de la soute, d'où elle voit le couloir.

Friedrich aperçoit sa silhouette, puis, comme ses yeux s'habituent à l'obscurité, il voit le javelot.

«  Je suis une de celles que tu piquais, tu te rappelles? - Non, pas moi, tu te trompes, je ne t'ai rien fait ! » En trois secondes il a senti la sueur glacée et le goût honteux de la peur. Il a perçu en même temps la force et la détermination de l'athlète. C'est clair. Elle est là pour le tuer.

« Qui pique sera piqué » dit Gudrun, affectant par dérision le ton sentencieux... Elle recule le bras et lève le javelot. Friedrich tente de fuir. Il sent un choc puissant dans son dos et voit la pointe dépasser de son thorax. L'étonnement efface en lui tout autre sentiment. Il meurt sur le coup.

Peut-on avoir plaisir à écrire ces lignes? Ai-je eu plaisir à entendre le récit de Gudrun? Je suis plus que son complice. C 'est moi qui tue par ses mains. Elle traîne le corps jusqu'à la portière qu'elle ouvre, et le jette sur le ballast.

J'ai commencé à décrire ce que peut faire l'homme à l'homme. Et même la femme qui tend quelque peu vers mâles vertus. Pléonasme, puisque la « virtus » étant d'abord la force de l'homme mâle -« vir »- la vertu est son apanage. Pédant, moi? Macho?!

C'est juste pour dire que ça va encore saigner.

 

Helmut s'inquiète de ne pas voir revenir son collègue. Il n'est pas repassé devant le compartiment. Il est donc du côté du wagon à bagages. Il n'aurait pas fait un malaise? Helmut aime bien Friedrich. Même s'il est son subordonné, c'est d'abord son ami. Helmut sort du compartiment.

Gudrun est accroupie devant la porte ouverte lorsque Helmut la surprend : « Qu'est-ce que tu fais? Où est mon collègue? »

Elle se relève et lui fait face. Toute explication est inutile. L'évidence de la vengeance, de la furie homicide est dans les yeux de cette femme. Il se jette sur elle en lançant son poing de toute sa puissance: « frappe en visant au-delà, comme si ton poing devait traverser le corps de ton ennemi. » Mais, au lieu de la résistance attendue, il ne rencontre que le vide. Tout se dérobe, même le sol sous ses pieds. Gudrun l'a saisi au vol par le bras et le vêtement, et s'est laissée tomber en arrière. Les judokas japonais appellent cela « sutemi » c'est-à-dire « sacrifice ». Son pied droit s'est porté à l'aine de l'homme, puis sa jambe fléchie s'est brusquement détendue. Helmut est propulsé par la portière ouverte. Ses bras battent l'air. Il parvient, au passage, à accrocher le bas de la barre chromée. Sa pirouette s'accélère et se raccourcit. Le monde tourne autour de lui, les traverses défilent à toute vitesse. Ses jambes glissent sous les roues de fer. Il est comme aspiré. Broyé.

 

Hans est allé faire un tour dans l'autre direction. Gudrun se dirige vers le compartiment des fêtards. Elle entre et referme. « Vos collègues vous font dire de ne pas les attendre. Vous allez bientôt les rejoindre. »

C'est la stupeur. Elle est folle! Pourquoi est-elle revenue? Cela ne présage rien de bon. Et Friedrich, Helmut? Où sont-ils? Est-ce qu'elle n'était pas menaçante, tout à l'heure?

Ils ont fait mine de se lever, mais ont aussitôt jugé prudent de se rasseoir. Elle est debout, imposante, et balance lentement un lourd sac de sport.

En face, les champs défilent, on passe une gare dont on ne voit pas le nom. Que d'arbres et de champs! Peu de maisons. Un lièvre détale dans un champ labouré. Étrange cette demi-seconde d'inattention à ce qu'elle fait. L'envie d'être ailleurs?

« On reprend?... Vos patrons Hoewald et Eppner ont à peine été inquiétés, mais vous, camarades, quels comptes avez-vous rendus?

  • Attends, on n'était que des rouages de la machine d'État, des instruments...

  • Instruments dociles, volontaires, zélés! Vous collaboriez à cette politique systématique de tricherie et d'empoisonnement! Pilules, piqûres, Cocktails... Et vous en tiriez profit. Vous aussi, vous étiez des héros! Des gagnants! Vous avez fait votre carrière sur notre dos!

  • Toi aussi tu en as tiré des avantages... Tu n'aurais jamais eu de médaille sans ces produits! Il y avait dans le monde des dizaines d'athlètes plus douées que toi au départ.

  • Ces « avantages », comme vous dites, m'ont coûté la vie. Ils me l'ont gâchée depuis des années, et je vais maintenant la perdre. J'ai payé à crédit jusqu'ici et je vais régler le solde à mon cancer. On vient de le diagnostiquer, mais les métastases sont là. J'ai quelques belles années de chimio et de chirurgie devant moi. Qu'est-ce que ça vous a coûté à vous? Rien. Alors c'est moi qui vous présente l'addition. Vos collègues? J'ai réglé leur compte. »

    Ils sont plusieurs à s'exclamer en même temps :

    « Quoi!? Hein?!

  • Qu'est-ce que tu dis?!

  • Eh oui! Ils étaient là et tout à coup, ils n'y étaient plus... Friedrich, je l'ai épinglé comme un papillon sur mon javelot, puis il a plongé sur la voie. Helmut est allé le rejoindre.

  • Tu mens! Ce n'est pas possible! Où sont-ils?

  • Étalés, répandus, peut-être éparpillés: deux en vingt kilomètres, quelque part entre Nancy et Saint-Dizier.

  • Tu es folle! » 

    Gudrun a ouvert le sac, elle tient dans une main le marteau, dans l'autre le poids.

    « Maintenant c'est votre tour. Vous voyez, j'ai les boules... »

Ils doivent se défendre. Ils n'ont plus le choix. Ils sont cinq. Ils se sont levés pour se jeter sur elle. Dieter bondit, tête en avant. Gudrun abaisse la main qu'elle a levée. Le boulet de fer de cinq kilos brise les cervicales de Dieter. Les autres ont reculé. Elle a du champ pour faire tourner le marteau comme un fléau d'armes. Pendant des années elle a pensé à ce moment. Elle l'a préparé, elle l'a rêvé. C'était comme à l'entraînement. Comme si elle poursuivait son métier. Acquérir la force, la motivation, les automatismes. Elle a maintenu son corps en forme, et sa haine intacte. Elle s'est mille fois joué la scène qui maintenant se déroule toute seule dans le réel, sans qu'elle ait pratiquement rien à décider. Elle avait tellement tendu le ressort, et si longtemps. Là, ça se déroule, ça se détend. En-dehors d'elle. La haine sort. Le marteau tourne et casse les têtes et les poitrines. Les côtes brisées ont perforé les poumons. Les hommes debout sont tombés. Elle a frappé encore. Ce n'était plus qu'un tas.

Ceux qui ont fait d'elle une machine à gagner, à battre, elle les a vaincus, battus, abattus. Depuis longtemps leur humanité n'était plus rien pour elle.

Ils sont là à ses pieds, et ne sont plus rien.

 

Elle a abaissé les rideaux du côté du couloir, et fermé soigneusement cette fosse commune. Elle se dirige vers les toilettes Elle appuie sur la pédale, et boit longuement de ce minuscule filet d'eau tiède et peu appétissante. Elle asperge son visage.

C'est alors que la porte de la cabine, qu'elle n'a pas verrouillée, s'entr'ouvre. Hans, qui était allé faire un tour pour s'éclaircir les idées après sa troisième chope de bière - en terre émaillée, pour qu'il n'y ait pas de contestation sur la ligne de démarcation bière-mousse - a ressenti le besoin de faire de l'eau. Il suit le couloir en tenant une main sur chaque paroi à cause des cahots. Il croit les toilettes libres, puisque c'est le secteur vert du cercle qui est visible autour du verrou. Il ouvre et se sent aussitôt comme happé à l'intérieur. Une main d'acier l'a saisi au collet. Surpris, il perd l'équilibre. La porte s'est refermée. Il reçoit un violent coup de genou dans les parties. Gudrun tient maintenant le col de sa veste des deux mains, une de chaque côté du cou. Elle fait levier de ses deux poings fermés qui pressent sur les jugulaires. Le battement du sang se confond avec celui des roues contre les joints des rails. Hans essaie de se débattre. Trop tard: la douleur a paralysé sa première réaction et il est confiné dans la cabine, immobilisé par le grand corps musclé de cette femme. Il griffe, mord, il ne peut que s'agiter sans aucune défense efficace. Il sait que son cerveau n'est plus irrigué et qu'il va sombrer dans l'inconscience. C'est comme s'il s'endormait. Elle le laisse sur place et referme la porte.

 

Gudrun est revenue dans le compartiment. Nous sommes seuls. Nous devons descendre dès que possible. Soudain on croise un autre train. La cadence du bruit des roues redouble, comme mon rythme cardiaque augmente, et le sifflet de l'autre motrice, que l'on a d'abord entendu plus aigu, devient plus grave depuis que les convois s'éloignent... Ah, l'effet Doppler! Elle est loin l'innocence des cours de sciences physiques! C'est le même type de train que je prenais pour aller au Lycée il y a quarante ans.. Les parois bicolores vert forêt et beige moutarde. Mon esprit fuit vers le passé... Les fenêtres sont sales, et les choses qui se passent ici aujourd'hui pas très propres...

Gudrun semble lasse et déçue comme une enfant qui a longtemps attendu Noël et qui trouve son cadeau totalement étranger à ses vœux. En même temps une espèce de contentement ambigu flotte sur ses lèvres, sourire intérieur qui se trahit. Elle m'a fait un signe de tête : c'est fait. Mais elle montre aussi du pouce que quelqu'un arrive. Elle précise: « prépare ton billet, c'est le contrôleur... » J'éprouve une sensation de tremblement au milieu de la colonne vertébrale et j'ai le plexus noué. Nous sommes en règle, bien sûr, mais s'il découvre les macchabées.... Nos billets sont contrôlés, l'employé ressort, referme le compartiment. Gudrun semble maîtriser ses émotions beaucoup mieux que moi. Un temps infini s'écoule, mais je dois me rendre à l'évidence: à cause du rideau baissé et de l'étiquette de réservation collective, le contrôleur n'a pas dérangé les morts du compartiment voisin. Je souffle de soulagement, et Gudrun va jusqu'à sourire.

 

On descend au premier arrêt. On se quitte.

Pauvre Gudrun. Je l'aimais bien. Je l'avais côtoyée pendant des semaines. Bien loin d'être une brute, elle était cultivée. Mais son corps était rongé par la maladie, son cœur par la haine. Et ce sentiment était le poison le plus pernicieux que ces hommes sans scrupule lui avaient inoculé. Ils avaient utilisé cette jeune femme comme un rat de laboratoire, comme une machine programmée pour gagner. Ils ont payé pour ça. C'étaient des salauds.

 

....et je ne vaux guère mieux, moi qui l'ai manipulée sous le couvert de l'amitié. J'ai été payé pour ça. Ceux qui m'ont recruté travaillent pour WCTV, cette chaîne de télé américaine au grand appétit. Ils souhaitaient perturber l'équipe allemande pour favoriser une équipe... disons plus transatlantique... Plus porteuse en termes d’audience. Eh oui! L’Idéal Olympique et l'Esprit Sportif, à ce niveau: vaste blague! Aujourd'hui c'est bon pour les naïfs. Ceux qui ont la haute main sur le sport, ce ne sont pas les sportifs, mais de puissants intérêts commerciaux, surtout médiatiques. Ce qui compte c'est l'image, le spectacle, la réputation. Les grandes compétitions internationales rivent à leur écran des milliards d'imbéciles comme vous et moi. Il s'agit de faire croire. Le sport olympique est en fait un jeu et un enjeu médiatiques, une guerre jouée sur les stades, qui n'empêche pas la vraie guerre.

Gudrun et ceux qu'elle a exécutés ont été tour à tour bourreaux et victimes. N'est-ce pas le sort de tous les petits soldats?

 

Et moi direz-vous? Je me dégoûte juste assez pour me contenter d'un poison qui tue lentement. À mes enfants, à ma femme je mens tout le temps sur mon travail et mes occupations en général, mais à moi, pour me supporter, il me faut le secours des alcools forts. À la vôtre!

 

18/05/1993

 

J'ai appris la suite par les journaux. La découverte des cadavres, dans le train et le long de la voie. Et j'ai eu une grosse surprise: Hans, que Gudrun disait avoir tué, a été découvert ligoté et caché sous une bâche dans le wagon à bagages.

 

Choqué, il a été hospitalisé. Entendu sur place, il a évidemment donné le nom de Gudrun.
Dans la semaine elle a été arrêtée.

L'instruction a duré plusieurs mois avant que l'accusation admette la thèse de la vengeance personnelle. La cour d'assises ne pouvait certes pas laisser impunie une semblable tuerie, mais la lourde responsabilité des Bremer, Bauer, Dresder et compagnie a largement atténué celle de Gudrun, que la défense a peinte comme leur victime. Sa maladie, sa franchise, sa simplicité, son humanité l'ont servie. Elle a été condamnée à cinq ans. Elle est restée à l'hôpital.

A aucun moment elle n'a fait mention de mon existence. Je lui en suis d'autant plus reconnaissant qu'elle sait tout: trois jours avant son arrestation elle est venue ici en mon absence et a découvert mon manuscrit. Le double a disparu. Elle m'a écrit.

 

Lettre de Gudrun:

 

J'ai lu ton histoire, Julien. Tu as passablement transcrit ce que je t'ai raconté. Tu as dû imaginer un peu l'état d'esprit des protagonistes. Travail de romancier plutôt que de journaliste. Je ne te juge pas comme romancier, mais comme journaliste tu ne vaux pas grand-chose. Comme beaucoup de tes confrères, tu ne sais que répéter les mensonges des autres. Ici il s'agit des miens. Nul comme ami, comme menteur tu te croyais malin quand tu étais crédule, ne pensant pas que moi aussi je puisse te mentir?

Dès le début j'ai eu des soupçons. Tu jouais la sympathie et l'indignation devant mon sort de victime. Tu voulais que je me venge. Tu me poussais au crime. Quelle était ta véritable motivation? Je ne pouvais pas croire que c'était l'amitié pour moi, la volonté de justice ou je ne sais quelle idée de catharsis. Et malgré tout je voulais vraiment les tuer, ces salauds.

 

La vérité, la voici. Après avoir liquidé les autres, j'ai vraiment voulu tuer aussi Hans. Lors de cet étranglement sanguin dans les toilettes du train, j'avais le visage à trente centimètres du sien. J'ai vu mon reflet dans ses yeux agrandis par la terreur, et je me suis fait horreur. Je me voyais par ses yeux, comme si j'étais lui. J'ai compris instantanément que je ne pourrais pas le tuer. Trop proche, trop semblable, trop humain. Peut-être qu'en cela au moins je suis restée du côté des femmes, ou de l'idée que l'on s'en fait, qui donnent la vie, pas la mort. J'ai ligoté et bâillonné Hans et l'ai caché dans la soute à bagages.

 

C'est toi qui as fait de moi ce que je suis, Julien. Tu me disais ce que j'avais envie d'entendre: qu'il faut dans ce monde pourri être du côté de ceux qui trinquent ou du côté de ceux qui frappent. Qu' « il  y a plus de plaisir à donner qu'à recevoir ». C'était ton humour noir. Bref, il fallait choisir: victime ou bourreau. J'ai compris maintenant que la vengeance me ravalait au rang de ce que je haïssais le plus: le bourreau.

 

Mais comme type moral, Julien, le traître n'est pas mal non plus. Je pensais depuis peu que tu n'étais pas clair. Je savais que l'on me trouverait vite. Je n'ai eu aucun mal à entrer chez toi en ton absence et à trouver ta prose.

Je ne chercherai pas à me venger de toi. J'ai soupé de ce plat froid. Méfie-toi seulement des gens de WCTV: deux cogneurs m'attendaient dans le hall de ton immeuble. « Où est ton copain? » J'ai essayé de les semer en enfilant le couloir, j'ai grimpé cinq des sept étages et là je me retourne comme Horace: le vilain voulait me frapper et semblait féru de boxe thaï. J'étais trois marches plus haut que lui, j'en ai profité pour un coup de savate dans le temporal. Il a préféré tomber dans la cage d'escalier. Après une manchette et un coup droit, son collègue a cru de son devoir de se retirer en bon ordre et en grande hâte pour récupérer le reste de son pote. Mais je te le dis: c'est à toi qu'ils en veulent, et ils ne plaisantent pas.

Pour moi, Julien, j'ai rêvé de te cogner la tête sur ton manuscrit, de t'exploser l'arrière-train à coups de Paraboots. Mais le seul vrai crime, cela reste celui de mes empoisonneurs. Ce que je souhaite, c'est qu'il soit connu. On continue un peu partout à tricher avec le sport. Les athlètes, les cyclistes, mais aussi les tennismen, les nageurs, les rugbymen, les footballeurs sont à la fois complices et victimes. Comme des papillons de nuit, ils sont attirés par tout ce qui brille: victoire, succès, gloire, argent, célébrité. Autant d'ersatz de l'amour. On sort, on administre toujours de nouveaux produits, tout aussi dangereux. Et, pour les téléspectateurs, comme pour le public des jeux romains du cirque, seule compte la victoire, et malheur aux vaincus!

Malheur aussi aux vainqueurs. Et aux tricheurs... Aux sportifs, du moins. Les vrais coupables s'en tirent. Il n'y a pas de justice dans le monde où nous respirons. Je ne suis pas aveugle au point de prendre ma vengeance pour la justice. J'ai remporté, en épargnant Hans, en te pardonnant à toi, mes seules vraies victoires.

 

Tout ceci est bien moral... Alors la morale de l'histoire, le mot de la fin? Lu alors que j'occupais le lit n°76 des soins intensifs à l'Hôpital Léon Bérard à Lyon. D'un philosophe allemand prénommé Emmanuel: l'homme ne doit pas être traité uniquement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin. J'ajoute, moi, que si elle doit être l'avenir de l'homme, la femme ne veut pas finir homme.

 

10/10/2009

 

Elle me rend presque jaloux quand elle sort son Kant.

Eh, oui! Pauvre Gudrun! Deux fins pour cette pauvre histoire. Et une seule pour elle.

Lorsque j'ai appris que son cancer était en phase terminale, je suis allé la voir dans l'unité de soins palliatifs où médecins et infirmières l'accompagnaient dans son agonie. J'éprouvais du remords à son égard. Elle a pu me faire comprendre qu'elle m'avait pardonné comme elle s'était pardonné à elle-même. Elle voulait que je prenne soin de moi, que je me fasse protéger. Elle est morte la semaine d'après.

 

L'inhumation au Père-Lachaise. On est passé devant l'allée des pontes du PCF. Monuments aux déportés des camps de la mort hitlériens. Monuments funéraires des complices de Staline, eux aussi recyclés. On ne lit point ici le mot Goulag. La Guerre Froide, les vainqueurs, les vaincus. Les honneurs pour les puissants, pour les petits l'oubli. Mais Gudrun demandait-elle autre chose? Elle avait compris la vanité de la gloire, et qu'elle va le plus souvent à ceux qui ne la méritent pas. Quand tu meurs, on te met une croix dessus...

Autour de la tombe, et dans tout le cimetière, très peu de monde. Il est vrai qu'à 9 heures du matin... Raison de plus pour m'étonner: que font ici ces deux malabars qui me regardent en douce derrière leurs lunettes de soleil?

Après quelques mots allemands prononcés par un parent éloigné, on jette de la terre et c'en est fait. Les gens s'éloignent. Je me dirige vers le centre du cimetière, suivi à 20 mètre par les deux balèzes.

Rapide examen de conscience: j'avais péché contre pas mal de puissants vindicatifs depuis quinze ans, mais rien de grave comme l'affaire pour laquelle WCTV m'avait payé. D'abord ils n'avaient pas aimé que la mort ait oublié Hans, encore moins qu'il permette aux enquêteurs de remonter jusqu'à Gudrun. Ils craignaient aussi que ces flics puissent arriver jusqu'à moi, et que je ne mette la chaîne télé dans le bain. Voudront-ils m'intimider, me donner une correction ou m'éliminer purement et simplement? Je décide qu'il n'est pas urgent d'en décider, et qu'il vaudrait mieux ne jamais le savoir.

Je le dis maintenant que je revois tout ça dans mon esprit, mais sur le moment, au Père-Lachaise, je ne m'étends pas trop sur mes souvenirs et je presse le pas. Les duettistes tournent dans les mêmes allées que moi, accélèrent quand moi. Ils ne se donnent pas la peine de passer pour des flâneurs. Ils se rapprochent. Je cours. Ils courent. Le cimetière est pratiquement désert. Malgré le sang qui bat aux tempes, au cou, je cavale comme un lapin. Ils semblent eux-mêmes très motivés, et ils sont beaucoup plus jeunes. Ils me rattrapent et me jettent à terre. Pas un mot, mais des coups de pieds dans les côtes. Je me relève. Le plus grand me propulse contre un monument. Mon arcade sourcilière pète. Je m'adosse à la pierre: au moins ils devront attaquer de face. Le deuxième tire une lame de quinze centimètres. J'extrais mon pistolet de défense calibre 12 chargé de deux balles en caoutchouc. Je lui en colle une dans l'œil à cinquante centimètres. Il va au tapis, mais il a l'air de trouver l'arête noire et brillante de la tombe moins confortable qu'une moquette. Il saigne rouge sur le marbre noir. Sa boîte crânienne a pris une vilaine forme. C'est, comme l'atteste le nom gravé en lettres d'or sous forme lapidaire, la pierre de Marcel Proust qui lui est rentré dedans. J'ai quant à moi autre chose en tête que la littérature. J'envoie mon deuxième pruneau dans le buffet du second mastard. Ça lui coupe le souffle mais il est loin d'être hors service. Comme il me bondit dessus, je l'évite en prolongeant son effort par une traction rapide agrémentée d'un barrage de la jambe. Il tombe à plat ventre sur le piquet de fer pointu qui marque l'angle de la concession voisine. Ça devrait être interdit ces trucs-là. Mais ce n'est pas à moi de me plaindre et lui n'est déjà plus en état de le faire. Il est en partance pour chez Satan. Je m'éponge, je roule mon mouchoir, me tamponne et roule ma veste tachée avec le sang côté intérieur. Et je vais aux urgences me faire recoudre.

 

Je passe à mon ancien journal. J'y emploie le reste de la journée à mettre au point et à poster un dossier à l'adresse des commanditaires des deux messieurs. Faire-part de décès et condoléances pour les deux tueurs, et puis photocopie d'un dossier que j'appelle mon assurance-vie: il contient les preuves de l'implication de la chaîne télé dans tout un système de tricheries et de pressions pour truquer les championnats du monde et les J.O. Et même l'assassinat à Berlin il y a six mois d'une nageuse trop virulente. J'ai joint une lettre explicative: si je décède avant l'âge de soixante-quinze ans et/ou ailleurs que dans mon lit, un notaire quelque part en France enverra les originaux directement au procureur et des copies aux journaux.

Ces tâches épistolaires accomplies, je rentre à la maison. Je retrouve Éliane et les deux gosses de mon cadet. L'un d'eux s'est attaché une ceinture autour de la tête et y a fiché une plume. Perché sur le dos de sa grand-mère, il l'éperonne. Son frère, juché sur le radiateur, un couvre-lit en mains, attend que l'étrange équipage passe à sa portée pour désarçonner le cavalier. Je me demande s'ils ne voient pas trop de westerns. Bon Dieu, la violence c'est dans les films, pas dans la vie! C'est ce que j'explique à Éliane que mon pansement inquiète: le vrai fléau ce sont les crottes de chien où l'on glisse pour se taper l'orbite contre le parcmètre le plus proche.

Je m'effondre dans un fauteuil. Je ne sais comment une bière fraîche est arrivée dans ma main. Je mets la télé pendant qu'Éliane met au lit les indiens, qui prétendent que la couche est trop molle pour les braves, et très prématurée. On passe un polar de série. Cela m'incline à la méditation.

Comme je disais, j'ai pris ma retraite. Déçu du socialisme et honteux de la droite dont j'attendais rigueur et créations d'emplois. Je suis amateur de séries policières. Mais pourquoi nous les fait-on exprès pour le troisième âge? Même s'il n'y a plus que nous pour aimer les flics, pourquoi leur donner notre âge? Un Navarro de 80 piges, un Derrick rouillé, un Barnaby sur le retour... et Louis la Brocante! Je sais qu'il n'est pas policier, mais que d'énigmes il résout, que de méchants il confond! Et tout y a le parfum d'autrefois: le broc, le Tub Citroën, la France rurale, la maréchaussée, les bonnes sœurs et leur Mère Supérieure, et Victor Lanoux, qui a fait ses débuts avec Jouvet! Très sympa et talentueux au demeurant, il nous fait penser à nos pères... Et, pour être honnête, il y a de la nostalgie chez nous, vieux croûtons ou en voie de dessiccation. Ce n'est pas le regret des pantalons de golf et des deux chevaux, mais bien celui de notre jeunesse....

 

J'ai repensé à Gudrun et à l'article que nous avions lu ensemble. J'ai relevé dans un journal qui paraît l'après-midi un autre article qui semble conclure un cycle sur l'histoire du dopage en Allemagne.

« Les entraîneurs allemands responsables du dopage à grande échelle des athlètes de l'ex-RDA amnistiés... De nombreux entraîneurs soupçonnés d'avoir participé au système sont aujourd'hui encore actifs... Cinquante entraîneurs pourraient profiter de cette amnistie, explique Inès Geipel. Ils conserveront leur poste, comme le veut la politique de la deuxième chance, qui est celle du comité olympique allemand. »

Trois lustres de plaintes, de pétitions, d'analyses, d'auditions, de poursuites, de procès pour en arriver là. Le grand blanchissage collectif!

Un encadré nous apprend que Heidi Krieger s'appelle maintenant Andreas. Elle a adapté les mots aux choses, et son état-civil à sa personnalité. Et je regretterais que Gudrun les ait exécutés?!

 

Mais ne rêvons pas: France, Allemagne, Chine, classées respectivement 34ème, 36ème et 37ème au nombre de médailles pour l'athlétisme à Pékin, nous sommes bien désormais dans la cour des petits. Sic transit... Est-ce qu'au moins on a plus d'éthique sportive ces temps-ci chez nous en Europe  qu'ailleurs ou est-ce que, dans nos labos pharmaceutiques, les services de recherche et développement sont distancés? Car il est permis de penser que la course se fait – au moins autant que sur les stades – dans ces officines soucieuses de garder un temps d'avance sur les techniques de contrôle antidopage.

 

Bienvenue aux jeunes dans un monde toujours plus performant!

 

 

Partager cet article
Repost0
30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 14:28

 

 

  La situation financière et économique de la France est très grave. Elle n'en sortira que par la rigueur dans la justice, et par l'effort de tous. Cet effort doit être à proportion des moyens de chacun. Il ne faut pas attendre des titulaires des hauts revenus et gros patrimoines qu'ils soient volontaires pour contribuer. Il faut prendre par la loi ce qu'ils ne veulent pas donner.

 

En même temps on est toujours le riche de quelqu'un d'autre : les petits profits font les grands déficits, car il y a beaucoup de petits profiteurs: ceux qui, dans les transports publics, ferroviaires ou aériens, éboueurs, dockers, profitent de leur position pour prendre en otages les voyageurs ou le commerce, ou l'hygiène publique, par exemple.

Ceux qui fraudent le fisc, la sécu. Les médecins qui prescrivent cures et médicaments inutiles...

Ceux qui vivent de l'assistanat sans chercher réellement un travail, alors qu'ils pourraient travailler.

Le régime des intermittents du spectacle : d'après le rapport de la Cour des Comptes:

"En 2010, le déficit du régime des annexes 8 et 10 a représenté un

tiers de celui de l’assurance chômage dans son ensemble, alors même que

les intermittents ne représentaient que 3 % des demandeurs d’emploi en

fin d’année.

Sur les dix dernières années, le déficit cumulé du régime des

intermittents s’est établi à un montant proche de l’endettement total du

régime d’assurance chômage (9,1 Md€ à la fin 2010)."

Il est, par ailleurs, inacceptable qu'avec 2,7 millions de chômeurs, il y ait entre 300 et 500 000 offres d'emplois non satisfaites, et que l'indemnisation dissuade d'accepter un travail, ou une formation qualifiante. Cela ne concerne, bien sûr, qu'une petite minorité des chômeurs. Ce n'est pas une raison pour accepter de payer pour ceux qui détournent l'aide solidaire due à ceux qui en ont vraiment besoin.

Ceux qui s'accrochent à leur HLM parisienne quand leurs revenus actuels leur permettraient de payer un loyer dans le secteur privé.

Et les politiciens qui tolèrent ça. Les mêmes qui cumulent les mandats et s'accrochent à des structures issues de l'empilage des collectivités territoriales : départements, régions, intercommunalités, et qui recrutent leurs fonctionnaires territoriaux, pour des services en doublons...

Et les administrations inefficaces : la Banque de France, qui gaspille l'argent public. Elle coûte six fois plus cher que la Banque d'Angleterre qui, elle, doit pourtant gérer une monnaie ! (source : Jacques Attali). La Monnaie de Paris, championne de la gabegie. Les services des finances, où des fonctionnaires gagnent 21% de plus que leurs collègues de même niveau dans l’Éducation Nationale. Nous avons ici à la fois les privilèges et le gaspillage. Cela doit cesser. De même que les niches fiscales qui permettent au capital d'être moins imposé que le travail.

 

Sarkozy a commencé à réformer. Il a largement fait illusion. Il n'en a pas fait trop : il est loin d'en avoir fait assez. Et il a réformé au mépris de l'équité, en allégeant les impôts de ceux qui vivaient déjà fort bien, au détriment de l'intérêt général. Il faut supprimer la plupart des niches fiscales et remettre la TVA au taux normal dans la restauration.

 

Hollande, hélas, promet beaucoup. Des embauches dans l'éducation, des emplois aidés etc. Alors qu'il devrait promettre du sang et des larmes. Son programme ne répond absolument pas à l'urgence de la situation. Sa volonté affirmée de renégocier un traité européen signé par la France ne peut que causer de nouvelles difficultés, et déconsidérer un peut plus la signature de notre Pays. S'il persistait et gagnait l'élection sur ce programme, la désillusion devant les faits serait telle que la vie démocratique souffrirait autant que l'économie.

 

Ne parlons pas des docteurs-miracles, dont une doctoresse, « souverainistes » ou populistes qui voient dans la fermeture des frontières un remède à la concurrence étrangère. Le repli sur soi n'engendrerait que décadence et faillite. La sortie de l'euro ne déboucherait que sur l'inflation et les dévaluations. Démagogie et solutions yaka....

 

Nous demandons au candidat qui prétendra obtenir nos suffrages un programme ambitieux de réduction des dépenses et des inégalités, de réforme de l’État, de remise au travail des français. Objectif : le désendettement et les investissements. Réalisme : nous n'avons pas le pouvoir de faire que le monde devienne autre pour nous faire plaisir. La « démondialisation » est aussi illusoire que le retour à la bougie.

Vérité, justice et effort partagé. Ce sont les conditions de l'espoir. Alors un peu plus de courage et moins de mensonges !

Partager cet article
Repost0
30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 14:25

 

Il était une fois la nuit. Et, une autre fois, elle disparut.

Comment ? - me direz-vous, chers petits enfants savants – la nuit c'est l'ombre de la Terre lorsqu'elle tourne le dos au soleil, à sa lumière. Comment pourrait-elle disparaître ? La Terre s'est arrêtée de tourner ?

Non, mes enfants. Mais sachez d'abord que la nuit d'aujourd'hui, ce que vous et vos parents appelez la nuit, n'est plus ce qu'elle était autrefois. Ou alors seulement à la campagne, en des endroits déserts. En pleine mer. Mais en ville, il n'y a plus de nuit.

 

Mon histoire commence il y a bien longtemps. En ce temps-là, la nuit était noire, tout à fait noire. On pouvait pourtant y trouver son chemin, grâce aux étoiles, et à la lune. Mais on ne pouvait en général que deviner les présences vivantes autour de soi : hiboux et chouettes en chasse, renard, petits rats, hérissons. On savait, à un frôlement, à un petit cri, que la nuit était habitée. Mais on ne voyait pas par qui. On ne voyait vraiment un peu clair que lorsque la neige recouvrait tout d'un drap blanc qui reflétait la pâle lueur des astres.

 

Les enfants d'hier et d'aujourd'hui connaissent peu la nuit, car il leur faut se coucher tôt. Bruno et sa sœur Lucie faisaient comme les autres enfants obéissants : chacun avait toujours passé la nuit dans son lit. Sauf le jour, ou plutôt la nuit de vacances en montagne où leurs parents les avaient emmenés faire une promenade nocturne. Ils leur avaient montré la lune. On dirait tantôt qu'une vieille femme courbée y porte un fagot, tantôt que s'y dessine un visage énorme... Ils leur avaient montré les constellations, bizarres dessins de lumière et d'étoiles : la Casserole, la Grande et la Petite Ourse. Ils avaient cité des noms mystérieux : Alpha du Centaure, Bételgeuse... Les enfants avaient tout raconté à leurs amis. On ne parlait que de ça dans la cour de l'école. Beaucoup traitaient Bruno et Lucie de menteurs, mais la curiosité était très forte.

C'étaient des enfants des villes. Ceux d'entre eux qui avaient essayé de mettre le nez dehors à l'heure où ils auraient dû être au lit rentrèrent vite se coucher, bien déçus : ils n’avaient rien vu de ce que Lucie et Bruno avaient décrit. Ni étoiles ni lune, rien que des lumières, des guirlandes d'ampoules, des néons. En somme, on voyait les mêmes choses que le jour, à peine un peu moins bien éclairées. Leurs camarades avaient peut-être tout inventé...

Des années passèrent. Les gens s'habituaient.

 

Il y avait bien longtemps déjà qu'avait eu lieu le complot pour faire disparaître la nuit des villes. Ils s'étaient tous réunis, les riches patrons, les maires, les gouvernants. Les maires déclarèrent que les voleurs se cachent dans la nuit pour dépouiller les passants de leurs porte-monnaie, de leurs bijoux. Que les honnêtes gens avaient peur de sortir. « Il faut éclairer les rues pour supprimer la nuit. »

Les patrons dirent : «Chez nous aussi, supprimons la nuit.  Les ouvriers de nos ateliers sont contraints d'arrêter leur travail le soir, lorsqu'ils ne voient plus clair. Il nous faut construire de très grandes maisons bien éclairées, où ils pourront travailler toute la nuit. Nous les appellerons usines. » Nos machines n'ont pas besoin de dormir la nuit. La moitié de nos ouvriers travailleront la nuit et dormiront le jour. Les autres continueront à travailler le jour, comme ils font aujourd'hui, et dormiront la nuit. Nous fabriquerons deux fois plus de voitures, deux fois plus de tissu pour faire deux fois plus de robes, ou des robes deux fois plus longues pour les dames. Ce sera le bonheur. Ainsi donc, pas de nuit dans nos usines !

Les hommes des villes firent ainsi : ils placèrent des lampes dans les usines, dans les maisons, et des lampadaires dans les rues. La nuit avait disparu. Les robes et les voitures devinrent plus longues, et en même temps s'allongea le nez des gens, qui n'étaient pas plus heureux.

 

Mais Bruno, Lucie et leur copain Gabriel voulaient voir et revoir la nuit. Pas voir dans la nuit, pas voir malgré la nuit. Mais voir la nuit elle-même. Ils entendaient les vieux en parler, dire qu'ils la regrettaient. Ils décidèrent qu'il fallait refaire la nuit. Ils mijotèrent un autre complot, un complot à l'envers. Cela prit du temps. Dans le plus grand secret, par SMS, ils avertirent leurs copains, ils réunirent des plans, des adresses, des informations, des astuces. Ils décidèrent d'éteindre la ville dans la nuit du 31 décembre. Il fallait trouver une sorcière pour ensorceler les électriciens qui savaient mettre et couper le courant dans chaque quartier. Ils la trouvèrent. Bruno donna le signal, et elle leur fit couper l'électricité, au douzième coup de minuit, dans la nuit de la Saint-Sylvestre.

Dans les bals, les fêtes du nouvel an, les gens avaient leurs verres de champagne levés, et les cloches commençaient à sonner quand les lampes s'éteignirent. En même temps, dans la rue, les lampadaires, les guirlandes lumineuses, les boutiques restées éclairées, tout devint noir. D'abord, les gens eurent comme un éblouissement à l'envers. Ils fermaient les yeux pour savoir s'ils étaient ouverts. Puis il les écarquillaient. Et ceux qui étaient dehors virent le ciel. Et les enfants, à l'intérieur, qui avaient pris le prétexte de la fête du Nouvel An pour ne pas aller au lit, cherchèrent à tâtons la main de leurs parents. Ils leur dirent de s’habiller chaudement, et les entraînèrent au-dehors. Tout cela très lentement, prudemment, pour ne pas se cogner aux tables, ni renverser les bouteilles qui n'étaient pas encore vides.

Il faisait froid et il n'y avait aucun nuage. La neige luisait doucement à terre, et le ciel, noir à première vue, était piqueté d'étoiles. Et, à mieux regarder, on y voyait une poudre blanche répandue en une longue bande : la Voie Lactée ! Milliards d'étoiles ! Même Gabriel, qui était le champion des nombres et savait faire les multiplications à trois chiffres, arrêta de compter à 278, ne sachant plus lesquels de ces diamants il avait déjà comptés. La lune aussi brillait, énigmatique et tranquille. Gabriel dit « Maman, je ne savais pas que cela existait. Je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir quelque chose d'aussi beau et d'aussi grand. Bien plus grand que la mer. Et plus profond. Mes petits parents, on va remettre le courant, mais, si on pouvait garder un coin de nuit, pour les grands et les petits, pour s'y promener un peu et rêver ensemble ?

 

Les grands dirent « c'est promis. » Puis ils n'y pensèrent plus. Il faut de temps en temps leur rappeler leurs promesses.

Partager cet article
Repost0
23 janvier 2012 1 23 /01 /janvier /2012 17:50


Je me sens tomber. J'ai peur. Je tombe de haut. Jusqu'ici j'ai été élevée dans du coton: mon nuage était blanc, tout était doux, lumineux, ouaté. Une enfance très heureuse. Nous jouions avec le vent, comme font les oiseaux. J'avais des tas de copines.
Vous le savez certainement, quand on est bien, on ne trouve jamais que cela dure trop longtemps. Pourtant il a bien fallu finir par tomber. C'est un rite de passage important pour une goutte d'eau - m'ont expliqué mes bons maîtres - comme devenir grand. D'autres disaient même que c'était là la naissance à proprement parler. En tout cas ce n'était pas rassurant.
Notre nuage était devenu tout noir et se refroidissait. Je sentais que je grossissais, et, tout à coup, la chute. Comme lorsque l'ascenseur se dérobe sous tes pieds...
La Chute. Certains prêcheurs disent qu'elle fait partie de notre nature, qu'elle est originelle. "Il est de la goutte de tomber"...
Je tombe de plus en plus vite. On appelle ça l'accélération. Je sens l'air me frotter de tous côtés. Je prends une forme aérodynamique, celle sous laquelle on connaît mes semblables. À un moment donné ta vitesse se stabilise et ta forme aussi. Mais tu te demandes dans quelle galère tu vas atterrir. Si l'on te fera bon accueil. Ou si, après avoir chu sur un parapluie, tu seras foulée aux pieds dans les flaques, évitée par les gens propres, éclaboussée par les gamins. Sale. Je sais "on nest jamais sali que par la boue". Piètre consolation pour ce mépris. Et qui ne fonctionne pas lorsqu'on se sent sale au sens propre. En même temps tu te dis "pour l'instant ça va", mais tu as la certitude de te casser la figure à terme. C'est même la seule certitude, mais tu évites d'y penser. Tu comprends, le Ciel, pour nous, on en vient. On n'a pas envie d'y retourner tout de suite.
Bon. J'arrive sur une feuille en forme de lame très souple, qui amortit ma chute. Cela sent le poireau et j'ai la très vague impression d'avoir connu ça au moins une fois. Nos bouddhistes nous disent que nous avons été autres, que nous ne venons pas de nulle part. Suis-je déjà passée par ici, ou dans un autre champ de poireaux? Cela expliquerait que je sache le poireau et son parfum. La seule fiction littéraire justifie que je parle, et même que j'écrive, mais ne saurait expliquer que je possède le concept de poireau. La Nature serait platonicienne? En tout cas je glisse le long de la feuille et gagne au plus vite le sol pour éviter d'être noyée sous mes voisines. Je ne peux pas avoir d'amitié pour elles, elles sont trop nombreuses, toutes les mêmes, et moi je me sens différente. Je m’infiltre, et je sens que des tentacules blancs essaient de me pomper. On m'a prévenue du danger: si je me laisse faire, je vais très vite sécher. Tu meurs et, innocente comme tu es, tu remontes au ciel aussi sec, sèche. Mais tu n'as pas vécu.
Donc je m'infiltre. Je gagne la nappe phréatique. C'est la foule! On est encore plus serré que durant le trajet. On perd son individualité. Tu sens partout autour de toi comme un reproche d'être venue après, d'ailleurs, de prendre la place des autres. Alors qu'on vient toutes de là-haut. Mais les Anciens ont besoin des bleus pour exister en tant qu'anciens, et on dirait que les nationaux ont besoin d'avoir des étrangers à mépriser. Je supporte un bizutage modéré, pas le racisme.
La foule m'entraîne. On est contraint d'aller dans le sens du courant. On se laisse aller. Toujours dans le sens de la pente. Par rapport à la chute libre, les choses sont beaucoup plus lentes. On n'a plus l'espace mais on a le temps.
Et puis j'arrive dans un cours d'eau. Il paraît que l'on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière. Il est bien normal, alors, que tout soit neuf pour moi. Encore qu'il y ait à dire là-dessus. Car je me baigne et je suis baignée, mais je baigne aussi. Je suis dans la rivière, et je suis la rivière. Elle suit son cours et je le suis aussi. Ainsi va la vie.
Mais je suis contente, car j'ai vu d'après la mousse des arbres que l'on va vers le sud. J'avais tellement envie de voir la Mer. La Méditerranée, j'entends. Dire que, si je tombais un peu plus loin, je partais pour la Mer du Nord! Brrr!
On arrive. On a ralenti le mouvement, le soleil nous inonde et le sel nous pénètre. C'est l'osmose. Il ne nous manque que l'accent.

Je sais ce que tu penses: que je suis bien prétentieuse pour une gouttelette de rien du tout. Ne dit-on pas "je n'y vois goutte" pour "je n'y vois rien"? Que je m'invente une individualité chimérique. Que je n'ai rien d'original par rapport à des milliards d'autres gouttes, qui me ressemblent comme des gouttes d'eau. Que de mépris, et de méconnaissance de notre nature. Et de la tienne. N'es-tu pas toi aussi un assemblage transitoire de molécules? N'as-tu pas, pour l'essentiel, la même histoire éphémère que des milliards de tes semblables avant, pendant et après toi? Ne retournes-tu pas en poussière? Tu surévalues ta complexité et tu la surestimes.
N'est-ce pas la simplicité qui est sainte, ô Frère Homme?

Partager cet article
Repost0
11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 11:16

 

 

 

 

 

Jean-Joseph Elie BROCHIER.

 

 

(Amusettes Proverbes et fariboles)

 

 

 

 

Action :

 

L’impossible a au moins un avantage : il est facile à ne pas faire.

 

A dire à Madame lorsqu’un ami fête un heureux événement :

« Mignonne allons boire, s’il arrose... »

 

Affaires :

 

Il n’est pas nécessaire d’entreprendre pour espérer : on peut aussi jouer au loto.

 

Si cela ne fait pas mon affaire, je te ferai la tienne.

(Menace à peine voilée).

 

Affreux et Hassan :

 

(à propos du livre de Gilles Perrault Notre ami le Roi.)

Mon Salaud et la Scène de Rabat.

 

Age :

 

Bien des hommes sont blets avant que d’être mûrs.

 

Agriculture :

 

On peut manger une fois son blé avant de l’avoir semé.

 

Que fait pousser la politique agricole commune ?

  • les hauts cris.

Un type en hiver

Faisait le poireau.

Il était vert.

Toujours au même endroit :

On l’avait planté là.

 

Alcool :

 

C’est dans la bouteille qu’est le génie, mais il est toujours plus facile de l’en extraire que de l’y faire rentrer.

 

Il n’est pas de problème insoluble dans l’alcool.

 

Guignol commence par la guigne et finit par la gnôle.

 

A la fin des fins, le fin du fin c’est la fine.

 

Altruisme :

 

Certains

prétendent qu’il faut se mettre en quatre

pour

des

tiers

parce

que

le

Christ

s’est

mis

en croix.

 

Ambition :

 

Si tu veux la lune, forme un gouvernement sélénien en exil.

 

La flèche du clocher vise le ciel, et ne l’atteint pas.

 

Amitié :

 

Tu te plains d’être trahi, mais qui a choisi tes amis?

 

Les vieux amis sont les meilleurs, pourquoi s’en faire de jeunes?

 

Les amis de mes amis sont mes amis,

« Ah, c’est bien vrai ! » dit la fourmi :

« Le puceron aime la rose lui aussi

Tous nous oppose l’amour nous réunit. »

 

Amnésie :

 

Chaque fois que j’ouvre mon agenda, j’y trouve cette phrase sibylline :

« penser à oublier ».

Et jamais, malgré tous mes efforts, je ne parviens à me rappeler quoi.

 

« Alors ça va mieux, cette amnésie ?

Quelle amnésie ? »

 

Amour :

 

« Mot de quatre lettres », dit un américain analphanumérique »

 

Bel ami, si est de nous : ni vous en moi, ni noix en août.

 

Elles sont trois à qui l’on ne dit jamais « non » : la mer démontée, l’avalanche, et la femme aimée.

 

Contre la sécheresse du coeur, il n’est pluie qui vaille.

 

Les mots d'amour sont pareils à la fumée, que la flamme fait naître et que le vent emporte.

 

Erosion : (du grec « Eros ») effet dévastateur de l’amour.

 

Qui éprouve une véritable inclination tombe toujours du côté où il penche.

 

Une langue étrangère est toujours mieux à sa place dans la bouche d’un étranger.

(Du baiser, ouvrage collectif).

 

Il n’y a pas d’amour sans appétit

Mais c’est l’amoureux qui est dévoré :

Lorsque l’Amour se met à table,

C’est que tu es cuit.

 

Amour-propre :

 

Les blessures d’amour-propre cuisent plus longtemps que le ragoût.

 

L’amour le plus aveugle est sans doute l’amour-propre, qui n’aime pas plus loin que le bout de son nez.

 

L’amour est gratuit : il ne récompense pas le mérite : c’est le mérite qui le récompense.

 

Animaux :

 

Pour brouter, il faut avoir le cou fort, et la tête petite.

 

Si le tigre rêve de verts pâturages, c’est pour l’amour de leurs habitants.

 

Un poisson a plus de chances face à deux chats que face à un seul.

 

Ris de veau,

pleurs et peaux

de croco.

 

Si votre chien se sauve, faites-le revenir avec des petits oignons, il sera délivré à jamais de cette fâcheuse habitude.

(Proverbe coréen.)

 

Seul le maître peut se mesurer à l’étalon.

 

Qui dira l’air malheureux du saint-bernard antialcoolique, avec son petit tonneau?

 

Dans le cochon, tout est bon :

On aime jusqu’à ses petits travers.

 

Anthropie :

 

De l’Homme comme fauteur de désordre.

 

Anthropophagie :

 

C’était un être exquis, parole de gastronhomme.

 

Un bon cadavre est un cadavre mort.

 

Le riz s’accommode de curry ou de safran, le sage, lui, s’accommode de tout.

 

Il n’y a pas de fumet sans pote au feu.

 

Je vous recommande le curé au beurre d’antimoine.

 

Antigravitationnel (moteur) :

 

Pour échapper à la gravité, il faut un peu de légèreté.

 

Apparences :

 

Méfie-toi du soi-disant muet.

 

S’il faut juger un maçon au pied du mur, un mineur ne doit pas être jugé sur la mine.

 

Ce qui a l’airsimple est en faitcompliqué.

 

Les appâts rances sont souvent trompeurs.

 

Apprentissage :

 

Qui apprend à marcher, il apprend à tomber.

 

Architecture :

 

La Tour Eiffel est un symbole phallique dont l’érection remonte à 1889.

 

Argent :

 

N’échange pas un billet de mille contre un de mille cinq cents.

 

Le veau d’or s’est fait vache, et la vache s’est fait traire, et quand la traite est tirée, il faut la boire.

 

Le temps c’est de l’argent, l’éternité de l’or.

C’est pourquoi le pari pascalien est si intéressant, financièrement.

 

La vase fait le bonheur du canard, et la richesse celui de l’homme cupide.

 

Quand les affaires marchent, les intérêts courent.

 

A celui qui a on prêtera, à qui n’a pas on prendra tout.

 

Le denier du culte est de plus en plus remplacé par le culte du denier.

 

Mieux vaut être tiré au sort qu’au fusil.

(Les appelés sous les drapeaux étaient désignés par loterie, les déserteurs étaient fusillés.)

 

La meilleure des armées est encore la pire.

 

Le Général se moque bien du particulier.

 

L’Armée vous dresse : contre les autres.

 

Une foule de bidasses où l’on ne remarquait

En bandoulière que quelques écharpes tricolores :

Beaucoup d’appelé, peu d’élus.

 

Arrivisme :

 

Pour arriver, il faut ramer, ramer : argument de pois.

 

Art :

 

Bien des musiciens, s’ils aimaient la musique, hésiteraient à s’en jouer.

 

Hitler était peintre, mais les artistes eux aussi peuvent avoir leurs petites faiblesses.

Pardon : Hitler était peintre, mais les dictateurs eux aussi peuvent avoir leurs petites faiblesses.

 

Il ne faut point jouer de la harpe comme un harponneur.

 

L’enfance de l’art : portrait d’Adam et Eve enfants.

 

Ascétisme :

 

A qui se prive du nécessaire, l’envie du superflu lui passe en même temps que le goût du pain.

 

Attention :

 

Aujourd’hui quelqu’un qui vous prête du capital est moins difficile à trouver que quelqu’un qui vous prête de l’intérêt.

 

Auto commisération :

 

Ne pleurez pas sur vous-mêmes : ça vous mouillerait.

 

Auto persécution :

 

Si tu te crois sans péché, il faut te repentir de ton outrecuidance.

 

Je fais un complexe de culpabilité, mais c’est bien ma faute.

 

Autrui :

 

On est toujours l’autrui de pas mal de gens.

 

Il n’y a rien de plus normal que d’avoir peur des autres : ce sont de loin les plus nombreux.

 

Cet imbécile m’a pris pour un autre, alors que l’autre, c’est lui !

 

Aveuglement :

 

« Il faut toujours avoir l’œil…

Si je n’avais pas l’œil…

  • Où te mettrais-tu le doigt ? »

 

Benedicite de l’avare :

 

Prier Dieu à dîner coûte moins

Que d’y prier ses voisins.

 

Bêtise :

 

Seul le muet dit moins de sept sottises par jour.

 

S’il est parfois instructif d’entendre les sots, il ne faut jamais les écouter.

 

Comment vivre en bonne intelligence avec les imbéciles ?

 

Le sage peut se lasser de sa sagesse,

Le sot n’est jamais las de sa sottise.

 

Si l’on vous demande, en tête-à-tête, si l’on est entre gens raisonnables, il est raisonnable d’en douter.

 

Qui brait ne dit autre chose que :

« Je suis âne. » Var. À braire on ne dit que « je suis âne »

 

Attendre d’être intelligent pour penser

est signe certain d’imbécillité.

 

Chacun pense que tous les autres sont des cons.

N’est-ce pas la meilleure preuve de la connerie universelle ?

 

À propos de Jean-Louis Debré, ex-ministre de l’Intérieur, président de la Chambre des députés. (Un poulet au perchoir)

« Comment se fût-il montré intelligent à la Chambre, s’il était demeuré à l’Intérieur ? »

 

Bien :

 

La Vertu impuissante n’est qu’une contradiction dans les termes.

 

Quelle voie prendra l’homme qui louche ?

 

Celui-là a du caractère que cela démange et qui ne se gratte.

 

Les gens ne sont ni tout noirs ni tout blancs, ni même gris : plutôt à damiers.

 

Tu cherches ton chemin, mais où veux-tu aller ?

 

Bonheur :

 

Que vaut-il mieux d’un imbécile heureux ou d’un sage malheureux ?

 

Mieux vaut rire aux larmes que pleurer aux éclats.

 

Bourse :

 

Le fort des halles était un petit porteur.

 

Carpe diem :

 

Cueille le jour : tu épargneras la chandelle.

 

Cause et effets :

 

La cause peut être juste sans que les effets le soient,

Mais si vos effets sont trop justes, la cause en est tailleur.

 

Chanson :

 

Pour nouvelle que la chanson soit

Toujours à la rivière

Chevaux se désaltèrent

Les beaux chevaux du Roi.

Toujours le rossignol est au bois.

 

Cœur :

 

Tendre la main touche à sa fin.

 

Tendre le cœur mais dure est la tête.

 

Comparaison :

 

La comparaison c’est comme la métaphore : de la fausse monnaie.

 

Complots :

 

Il ne faut pas ourdir plus de trame qu’on ne peut tisser d’intrigues.

 

Compréhension :

 

J’entends ce que tu dis, mais je ne vois pas ce que tu veux dire.

 

Conformisme :

 

Les Petites Filles modèle 1858 modifié 64.

 

Le non-conformiste est celui qui veut être comme tous ceux qui ne veulent pas être comme les autres.

 

Les moutons se suivent… et se ressemblent.

 

Connaissance :

 

On ne peut que rester interdit devant des avis aussi autorisés.

 

Les yeux nous furent donnés pour voir, et nous en usons pour dormir.

 

Consommation et déchets :

 

Consommez, consommez ! Il en restera toujours quelque chose !

 

Conversation :

 

Parler avec un bavard est reposant, mais l’écouter est pénible.

 

L’entretien d’un homme ou d’une femme d’esprit est plus enrichissant, en tout cas bien moins onéreux que celui d’une résidence secondaire.

 

Le cœur ne peut qu’entendre le langage du cœur…

S’il y prête une oreillette attentive.

 

Coriolis (Loi de) :

 

Dans l’Hémisphère sud, les nombrils s’enroulent dans le sens trigonométrique.

 

Courage :

 

C’est lorsque se profile la menace

Qu’il convient de lui faire face.

 

Création :

 

Dieu n’avait pas perdu sa semaine, mais il a bien fait de prendre son week-end.

 

Et le Verbe dit, et voilà les choses.

Et l’Homme dit : et voilà les paroles.

 

Adam de terre,

Eve de chair :

Nous sommes frères

De la côte.

 

Crime :

 

Ne paie pas, surtout le crime gratuit.

 

Critique :

 

L’artiste est rarement aisé, mais le critique est souvent difficile.

 

Beaucoup utilisent de l’encre antipathique.

 

Cuisine :

 

Si la chère ne saurait être trop fine, la fine peut être beaucoup trop chère.

 

Danger :

 

On devrait dormir le jour et la nuit veiller :

N’est-ce pas alors le temps du plus grand danger ?

 

Décorations :

 

Toute médaille à unrevers,

Sauf la militaire, qui ne les compte plus.

 

Attention l’avers n’est point le revers, dit-on

Mais les titulaires de médailles et pensions

N’ont nulle aversion pour la réversion.

(Dans le dernier vers deux diérèses SVP : ça vous fera les pieds.)

 

Désamour :

 

Sur ses lèvres se forment des sons

De sa bouche s’envolent

Des paroles.

Et chacune dit «non.»

 

Désintéressement :

 

Si tu es vraiment désintéressé, efforce-toi de n’obliger que des ingrats.

 

Désir :

 

Vos désirs font désordre.

 

La fleur dit : « si tu me coupes, pas de fruit. »

 

Ce roi n’était jamais content, quoi que l’on fît pour satisfaire ses souhaits et exigences.

Jusqu’au jour où un sage le persuada que ce qu’il cherchait, en fait, c’était le mécontentement.

Le croyant, il sut et eut ce qu’il cherchait, et donc fut content. Mais évidemment cela ne dura pas.

 

Le désir est la distance souffrante entre le monde et moi.

 

Devoir :

 

Tu te demandes où est ton devoir ?

Choisis la difficulté.

 

Plus difficile que détours,

Plus difficile que raccourci ?

C’est le droit chemin.

 

Dialectique :

 

Si à mon moulin tu n’apportes que de l’eau, je ne t’en ferai pas de la farine.

 

Dieu :

 

Si Dieu, qui sait tout, n’existait pas,

il faudrait de nécessité

qu’il fût athée.

 

Le nain demande à Dieu de l’exhausser.

 

Le savant, pour Dieu, n’est pas un postulat nécessaire.

 

Je ne crois pas en Dieu. C’est bien fait pour Lui.

 

Les athées croient qu’ils ne croient pas en Dieu.

Les croyants croient que ce en quoi ils croient est Dieu.

 

Certes nous donnons dans l’anthropomorphisme, et Dieu ne peut qu’excéder infiniment ce vieillard à barbe blanche qui nous en tient lieu.

Mais aussi qu’aurions-nous à faire d’une entité qui nous serait totalement étrangère et à laquelle nous serions totalement indifférents ?

 

« Je suis » dit Dieu. Faut-il l’en croire ?

 

Dieu dispose, l’homme indispose.

 

"Quel métier, nom de Moi !

On te colle sur le dos tout ce qui ne va pas.

T’es responsable de tous les maux.

Même ceux qui ne croient pas en toi t’insultent.

Tu as un Fils. C’est lui qui trinque,

Et c’est encore toi qu’on accuse.

Forcément, parce qu’on est tout-puissant,

Il faudrait faire tout son possible... !"

 

Égotisme :

 

Je n’arrive pas à me passer de moi-même.

 

Éléments :

 

Le feu froid n’est plus feu,

Mais les rivières

Retournent à leur source

Par la voie des airs.

 

Ne réveillez pas l’eau qui dort : il n’en est pas de pire…

 

Espérance :

 

L’aurore n’est pas que le jour recommence,

Mais que le nouveau jour soit un jour nouveau.

 

Espionnage :

 

L’espion le plus remarquable est celui que l’on ne remarque pas.

 

Espoir :

 

Même le soleil a besoin, la nuit, que l’on croie en lui.

 

L’aurore n’est pas la renaissance d’hier, mais l’espérance que ce nouveau jour soit un jour nouveau.

 

Tant qu’il y a de l’espoir il y a de la vie.

 

Esprit :

 

L’esprit aigu est pénétrant. Il peut être piquant.

 

Estime :

 

Il n’est pire compagnon que celui qui a trop d’estime pour lui-même,

excepté celui qui n’en a aucune.

 

Être :

 

Tout bruit finit par le silence,

Tout être finit par le néant.

Et réciproquement.

 

Exagération :

 

Il ne faut pas pousser le cri trop loin.

 

Il ne faut pas trop exagérer.


Excès :

 

Sous le tropique du cancer, lassé,

Sur le cancer du trop, pique l’ « assez ! »

 

Encore que fâcheuses, et même coupables,

Les extrémités sont nécessaires, faute de quoi on n’en finirait pas.

 

Tout a un commencement et une fin, mais, comme les extrêmes se touchent, on n’est guère avancé lorsque l’on s’y laisse aller.

 

Que l’on avance ou recule, la fin n’est jamais loin.

 

Existence :

 

Le néant est ce qui reste quand il ne reste rien.

 

Famille : je n’avoue pas mes enfants je les proclame.

Et les enfants de mes enfants qui sont aussi mes enfants.

Et nous les portons haut pour qu’ils soient plus grands que nous, pour qu’ils voient plus loin. Ainsi nous les élevons.

 

Fortune :

 

Vient en dormant, étant somnambule.

 

Genre :

 

Féminisons les noms des métiers exercés par des femmes, mais n’oublions pas la réciproque, par un juste retour des choses.

Madame la médiatrice et Monsieur le bissecteur.

Les sapeuses, les mineuses, les souffre-douleuses le disputeront aux pétroleurs, aux nébuleurs et aux légumineurs.

 

Géométrie :

 

L’intensité de ton désir est proportionnelle au volume de ton vide.

 

Gratitude :

 

Dois-je te remercier de m’avoir appris l’ingratitude ?

 

France, Mère du lard, des darnes et des oies,

Tu m’as nourri longtemps du mets de ta gamelle !

 

Gravité :

 

La gravité finit par vous peser.

 

Trop de gravité tue.

 

Ne sois pas trop lourd au sol que tu foules.

 

Guerre :

 

Trop dure guerre : trop dure est,

même quand ne dure guère

toujours trop dure.

 

Les oiseaux dont tu vois les os

En appelèrent au chant

Pour trancher leur litige.

 

Si tu vois autour de toi

Assassiner la vérité,

Le sens et le bon sens,

La guerre n’est pas loin

Qui tuera hommes, femmes et enfants.

 

La guerre a bien des charmes

Et tu n’en es point las :

« Laisse aux femmes les larmes.

Aux armes !

Tu tues : taratata ! »

 

Haschich :

 

Tu fumes ton pétard

Tu roules ton joint

Tu ne vois pas plus loin

Tu comprendras

Mais un peu tard

Quand tu péteras un joint.

 

Histoire :

 

Le Général Boulanger avait à tel point nourri ses ambitions qu’elles étaient devenues obèses.

Pour les satisfaire, il exigeait un changement de régime.

En Allemagne, pour le guérir on l’aurait mis à la Diète.

Cela se passait en France : il garda la Chambre.

 

Humour :

 

Le sourire est une fissure :

Ton raisonnement, moins sûr

En acquiert

Un peu d’air.

 

Hypocrisie :

 

Si l’on ne fait pas profession d’être hypocrite, on peut en faire métier.

 

Jetez la pierre ponce à Pilate, il s’en lave les mains.

 

Le miroir ne rougit pas.

 

Hypothèses :

 

Avec des si on abattrait la Forêt Amazonienne.

 

Avec des si on fait monotone symphonie.

 

Idées :

 

Les idées remâchées deviennent si insipides et filandreuses qu’on ne peut les avaler.

 

Les avis sont comme les chemises :

Ceux qui prétendent que les leurs leur sont propres

Sont ceux qui en changent le plus souvent.

 

Illusion :

 

Ne sois pas le jouet d’une illusion :

C’est une fillette capricieuse.

Quand elle a assez joué avec toi, elle te casse.

 

Illusion, mensonge et espoir sont trois élaborations de l’absence.

 

Ton image dans le miroir te prend peut-être pour l’image d’elle même.

 

Importuns :

 

Il y a un tort, au moins, que les absents n’ont pas.

 

Indifférence :

 

C’est là que le « bah ! » blesse.

 

Individu :

 

L’individu est souvent triste, le luron toujours gai.

 

Tu n’es ni le seul à être unique, ni l’unique à être seul.

 

Inquisition :

 

«Homme de peu !

Homme de peu de foi !

Homme de poix, de feu !

Au bûcher ! »

 

Intégrité :

 

C’est un homme entier

Comme on dit d’un cheval :

A aucun prix

Il ne se déferait de ses parties.

Il ne se fout ni

Du tiers ni du quart

Ni de sa chère moitié.

Mais il tient par-dessus tout

A son intégrité.

 

Intelligence :

 

 

Vous êtes un âne, et c’est là que le bât blesse.

 

C’est un homme intelligent du pied gauche.

 

Jour :

 

Tout nouveau jour promet un jour nouveau.

 

Pénélope défaisait la nuit les jours qu’elle avait faits le jour.

 

Prison : souffrance de ces jours où tu ne vois le jour que par un jour de souffrance.

 

Le jour où le soleil attendra l’aube pour briller se sera la nuit éternelle.

 

Justice :

 

La force est un devoir pour le juste : qu’est-ce qu’une justice qui se laisse fouler aux pieds ?

 

L’inégalité est une donnée biologique ou géographique,

L’injustice un fait humain,

La justice une exigence d’humanité.

 

« Il n’y a pas de justice » dis-tu ?

Alors, au travail !

 

Si l’on pouvait être juste impunément, on n’y aurait point de mérite.

 

Si la Justice appartient au juste, il faut la lui rendre.

 

Si le Monde était une mâchoire, la Justice n’en serait au mieux que le cure-dents.

 

Langue :

 

Celui qui se paie de mots est aussi riche que son vocabulaire.

 

Les Lacédémoniens, qui s’appelaient « Laconiens », étaient laconiques.

Ne pas confondre avec les Lacaniens.


Liberté :

 

Pour s’évader, nul n’est mieux placé que le prisonnier.

 

Que l’on soit libre de ses avis n’implique pas que tous les avis soient autorisés.

 

Litote :

 

De deux mots, il faut choisir le moindre.

 

Littérature :

 

Toujours le fruit du hasard, puisque le hasard fait le reste, et que le reste est littérature.

 

Au criminel il faut un alibi, et le poète devrait se contenter d’un ailleurs ? C’est à en perdre son latin.

 

Livres :

 

Les livres sont les seuls à être à la fois aussi obstinés à dire ce qu’ils disent, et aussi tolérants devant les interprétations qu’on en donne.

 

Des livres de livres,

Des tonnes de tomes,

Des quintaux d’in quarto,

Des pléiades de Pléiade,

Des théories de philosophes….

 

Logique :

 

A qui possède la clé, il ne faut que la serrure.

 

On ne peut pas être sans avoir été.

 

La généralisation abusive est le début de la caporalisation.

 

Lumières : (ou « supplément à l’Imitation de Notre-dame la Lune » de Jules Laforgue.)

 

Si tu ne peux rayonner, au moins réfléchis.

 

La lumière n’est pas dans les choses, mais dans le soleil.

De même leur sens : c’est toi qui le leur donnes.

 

Qui veut briller à tes yeux veut t’éblouir, non t’éclairer.

 

Maladie :

 

Un mal aigu ne saurait être bien grave.

 

Le malheur a une prédilection pour les malheureux.

 

C’est parmi la clientèle des médecins que l’on trouve le plus de malades.

 

Mariage (pour le) :

 

On n’a jamais vu de célibataire divorcer : au contraire, ce sont généralement eux qui se marient.

 

L’un dans l’autre, la vie conjugale est bien agréable.

 

« Tu cherches quelqu’un ?

  • Oui, ma Femme.

  • Tu es donc marié ?

  • Si je l’étais, je ne chercherais plus ! »

Marine :

 

Nef qui coule n’amasse pas mousses.

 

Méchanceté :

 

Peu de gens ne plantent de rosiers que pour les épines.

 

Certains ne sourient que pour montrer leurs dents.

 

A mêler miel et fiel on perd l’un et l’autre.

 

Médisance :

 

La langue est plus tranchante que les dents.

 

Jamais carpe ne médit d’une autre carpe.

 

L’eau la plus limpide peut être traînée dans la boue.

 

On n’est jamais sali que par plus sale que soi.

 

Méfiance et confiance :

 

S’il te faut trois avis pour connaître le chemin de la gare, tu manqueras ton train.

 

Même la confiance en soi peut être mal placée.

 

Méfie-toi d’un homme et il méritera ta méfiance.

 

Méfie-toi des méfiants : ils connaissent autrui pour ce qu’ils sont.

 

Défie-toi du loup végétarien.

 

Ne dors que d’un œil, et sur une seule oreille.

Et n’applaudis jamais à deux mains… si tu peux faire autrement.

 

Meilleures choses (qu’elles ont une fin) :

 

Tu es nourri, tu as chaud, tu es bien ; mais le moment venu, il faut bien finir par naître.

 

Mémoire :

 

Le souvenir est ce qu reste quand on n’a pas tout oublié.

 

Mémoire de l’eau :

 

« L’eau chaude se souvient qu’elle a été froide »

(Proverbe haoussa ; in LAROUSSE : Proverbes, sentences et maximes.)

M. Benveniste n’a donc pas plus inventé la « Mémoire de l’eau »

a) qu’il ne l’a démontrée

b) que l’eau tiède.

 

 Ménage (Scènes de) :

  • Je n’ai pas arrêté, je suis lessivée…

  • Va t’étendre !

Ma mie, il va maintenant falloir gagner ta croûte !

 

Mépris :

 

Quand la méprise s’accouple avec le mépris, quelle con descendance !

 

Mérite :

 

Qui estime le mérite mérite l’estime, ou tout au moins estime la mériter.

 

Merveilles :

 

L’eau de là est plus pure que l’eau du plus pur diamant de la plus pure rivière de diamants. L’eau de là-haut… Oh! L’eau de l’au-delà !

-Oui, je sais que j’en fais un peu trop, mais est-il normal qu’on ne s’émerveille plus de voir l’eau nous tomber du ciel ? 

 

Milieu (juste) :

 

Il ne faut point de moyens extrêmes.

 

La glace brûle à l’égal du feu, mais l’eau tiède fait vomir.

 

Monarchie :

 

La reine des abeilles, au moins, pond.

 

Au stand de tir de la Foire du Trône,

Pour le bicentenaire de la Révolution,

J’ai tiré les rois.

 

Morale :

 

Avant la faute, le Diable est un épouvantail, après, c’est une excuse.

 

 

Sur la littérature moralisante :

Lorsqu’on vous chapitre à longueur de paragraphes, le livre paraît bien long.

 

Si les maux n’éloignent pas du Mal, les biens ne rapprochent pas du Bien.

 

Le droit chemin conduit,

Le détour séduit.

 

Le chemin le plus lisse est aussi le plus glissant.

 

A qui suit le droit chemin,

Point de raccourci.

 

Le pire n’est point ennemi du mal.

 

Le remords ne torture que celui qui n’est pas totalement mauvais.

 

Il ne faut pas pousser le scrupule jusqu’à se reprocher un sentiment de culpabilité.

 

Mormons :

 

Soyez le sel de la Terre,

mais n’exercez pas à Salt Lake City,

Car en toutes choses l’excès nuit.

 

Mort :

 

L’homme mort ne verra jamais plus la vie comme avant.

 

Jamais noyé ne mourra pendu.

 

Ne mange ni ne bois, et tu ne mourras pas empoisonné.

 

Seule la limitation des naissances est susceptible de limiter le nombre des décès.

 

La mort enseigne à se passer de beaucoup de choses.

 

Le bois de ton cercueil pousse, s’il n’est déjà coupé.

 

Chacun se flatte de se lever demain matin.

 

On parvient plus vite à sa fin qu’à ses fins.

 

La vie du pendu ne tenait qu’à un fil…

 

« Memento mori »

En effet cela fait des années que j’oublie.

 

D’après le chrétien, même la mort n’a qu’un temps : on n’est jamais tranquille !

 

Mon mari tient à rester en vie, car il aurait horreur d’être l’époux d’une veuve.

 

La fin vient en mangeant.

(On creuse sa tombe avec ses dents.)

 

Il est si plaisant de dormir et si pénible de se réveiller que notre peur de la mort est tout bonnement incompréhensible.

 

On peut avoir quelque indulgence devant un condamné : lorsque tu vois un homme, pense qu’il va mourir.

 

Même le demeuré passe.

 

Avec ou sans moyens, chacun arrive à sa fin.

 

La Nature a prévu la peine de mort pour tous les criminels. Mais il y a tout de même beaucoup d’erreurs judiciaires.

 

Ma chandelle est morte, et le défunt s’est éteint.

 

Il est si près le temps des cyprès !

 

Comme les cimetières seraient plus gais sans tous ces morts !

 

La Vie te dira tout à l’heure : « Tu as grandi. Meurs. »

 

Sommeil, petite mort, sois béni pour être précaire.

 

Même si Dieu nous prête vie, nous devrons lui rendre jusqu’au dernier soupir.

 

Mots :

 

C’est dans les grands mots qu’il y a le plus de place. Vide.

 

De grands mots grandes phrases, de petits actes grands ouvrages.

 

Entre les mots d’ordre et les maux du désordre, il faut choisir le moindre.

 

Deux choses ne valent rien

Trois sont sans intérêt :

Le pet de lapin,

La roupie de sansonnet.

Ne vaut pas plus que gangue

La parole enfin

De qui ne tient sa langue.

 

Si la lettre tue, le mot tue encore plus.

 

L’esprit seul vivifie.

Alors le mot d’esprit ?

 

Les bons mots sont rarement de bonnes paroles.

 

Mystères :

 

Et les secrets envols

Les ailes du silence

Mystères celés aux sages

Que savent les enfants.

 

Néant :

 

Ni sou ni maille

Ni rien qui vaille,

Ni chaud ni froid

Ni rien qui chaille

Ni miette ni pas.

Ni goutte n’y vois

Ni point n’y crois.

 

Indéniablement

Il n’y a point de néant.

 

On tombe du côté où l’on penche :

Le cynophile devient cynique,

Le cynique devient chien.

Le chien os et l’os poussière.

 

 

 

 

Noblesse :

 

Dénonçons de son nom l’inanité sonore,

Hypocrite manteau dont le crétin s’honore.

 

La plupart des nobles rameutent leurs ancêtres plutôt qu’ils ne les rappellent.

 

Nomadisme :

 

Comme la couleur délébile,

La caravane passe, la demeure demeure.

 

Nourriture (terrestre) :

 

Il faut vivre pour manger : les morts ne le font pas.

 

Nouveauté :

 

Le chien abandonne tout os pour tout nouvel os.

 

Rien de nouveau sous le soleil.

Même la nouvelle lune a un air de déjà vu.

 

Obésité :

 

Plus ma panse est dense moins je danse et moins je pense.

 

Opinion :

 

Pourquoi dites-vous que les avis sont partagés justement lorsqu’on ne partage pas le vôtre ?

 

Lavez, lavez les cerveaux

Ô gras et doux bourreaux,

Bourrons bien le mou :

« nous mourrons debout ! »

Lavez que le noir devienne blanc

Et le coupable innocent.

Lavez les têtes, qu’on soit bien bête.

« trot attelé » et « tout l’été à la télé.»

Laveurs lavez

Amuseurs amusez !

Ce que vos maîtres et vous craignez,

C’est, en vérité, la vérité.

 

Paix :

 

Soldats restez dans vos foyers

- Entendez-vous ? - Dans vos compagnes :

Du fourreau ne tirez l’épée.

 

Palindromes :

 

Alerte l’être-là !

 

Rot, sac : Sartre se sert ras, Castor.

 

Et sec, las, noire bile libérions, Alceste.

 

Paroles :

 

C’est d’un homme maître de soi que de savoir se taire à propos.

 

Les grands mutismes sont douloureux.

 

Il faut agiter sept fois les oreilles avant de s’écouter.

 

Au contraire de la calebasse sonore, qui rappelle qu’elle est creuse, la phrase sonore veut le faire oublier.

 

Il est des silences lourds de sens, et des phrases qui en sont légères.

 

Sois bref et tais-toi.

 

Les mauvaises paroles écorchent plus d’oreilles que de bouches.

 

Le vent emporte les paroles, les rats les écrits.

 

Il y a des gens dont les paroles ne sont que les oripeaux de la pensée.

Que resterait-il de leur pensée toute nue ?

 

Le produit de l’incontinence verbale n’a pas plus de prix que celui de l’incontinence tout court.

 

- Je n’ai qu’une parole.

  • Laquelle ?

Il avait promis de revenir, mais ici, il ne manque qu’à sa parole.

 

Tant de gens prétendent nous donner leur parole

Quand nous serions tout prêts à nous contenter de leurs actes.

 

Qui n’a qu’une parole la tient. Les autres tiennent des propos.

 

Mieux que tous les propos les plus fermes : un ferme propos.

 

Parthénogenèse :

 

Montesquieu (Lettres Persanes) : « Comment peut-on être Persan ? »

Mais est-il plus étonnant d’être sans père ou d’être père sans ?

 

Parvenus :

 

Le « self made man » est ce que l’on appelait au Grand Siècle « un homme sans naissance ».

Ce parvenu s’est fait tout seul : sa mère n’a rien à se reprocher.

 

Peine de mort :

 

Roué il vécut, roué il mourut.

 

Pesanteur :

 

N’essaie pas d’apprendre à nager à une ancre de marine.

 

Pessimisme et optimisme :

 

Ceux qui disent que tout est au plus mal sont les optimistes.

 

Il faut pleurer pour le malheur à venir.

 

Celui qui s’attend au pire n’a pas de mauvaise surprise.

 

Pleurs :

 

Et l’amant se lamente

Et ses larmes démentes

Salent ses joues sales

Et son thé à la menthe.

 

Philosophie :

 

  • Les Français, sans exception, ont une fâcheuse tendance à la généralisation… Non je suis belge, pourquoi ?

 

Pour le physicien ; l’acier poli est matière à réflexion.

 

Pierrot lunaire cherche étoile en plein jour :

 

Et il chut dans le noir

Sans étoile aucune.

Il devait par force choir :

Ayant pris un coup de lune,

Et de l’autre, pas un salut.

 

Piété :


Et Robert le Pieux resta planté là.

 

Je ne me ferai pas cistercien de Cîteaux.

 

Platitude :

 

Ayant peu de hanche,

Encore moins de seins,

C’était à dessin

Qu’elle faisait la planche.

 

Préjugés :

 

La lutte contre les préjugés, c’est la prévention des préventions.

 

Prix :

 

La Liberté n’en a pas.

Edmond et Jules en ont un pour deux.

On connaît celui de l’Arc de Triomphe.

Mais quel est le prix du Président de la République ?

Promesses :

 

L’homme ne vit pas seulement demain.

 

Tiens ta langue, ou il te faudra tenir tes promesses.

 

Tu habilles demains de promesses, mais aujourd’hui est toujours nu.

 

Une vaine menace est pire qu’une promesse non tenue.

 

Si tu n’as qu’une parole, ne la donne pas.

 

Pronoms :

 

Je voue

Tu luis

Elles nouent

Ils tuent.

 

Prudence :

 

Ne fleuris pas avant les gelées.

 

Chien bien mort n’aboie ni ne mord.

 

Sois circonspect ou tu seras circonvenu.

 

Qualité :

 

L’odeur du poisson parle pour lui, mais non pas toujours en sa faveur.

 

Rapports humains :

 

Qui me contraint me désoblige.

 

Si vous m’obligiez, j’en serais tout interdit.

 

J’ai ouï dire qu’il ne faut pas toujours oui dire.

 

C’est avec nos semblables que nous avons le plus de différends.

 

On est toujours l’autrui de pas mal de gens.

C’est toujours toi l’autre.

 

L’altruiste est aussi indispensable à l’égoïste que l’herbivore au carnassier.

 

Grise mine

Ou chère lie

Qui vous mine

Ou qui vous lie…

 

Rébus :

 

« L… » (L’Être et le Néant.)

 

Recherche :

 

Content, je me suis bouché de l’honneur …

 

Règle :

 

Toute règle souffre des exceptions, mais si les exceptions sont trop nombreuses, la souffrance est trop forte.

 

Aménorrhée : exception à la règle.

 

Religion du veau d’or :

 

Au nom du Pèze, et du Fric, et du Saint-Grisbi…

 

Rumeur :

 

Cette rumeur n’est assise sur rien.

D’ailleurs, elle est sans fondement.

 

Sagesse :

 

Même l’étourneau ne se fait pas tuer deux fois par le même chasseur.

 

Vox clamantis in deserto n’est entendue que des chameaux.

 

Santé :

 

C’est parmi les clients des médecins qu’il y a le plus de malades.

 

Sauvetage :

 

Si un homme se noie, ne le sauve pas :

Il se noierait la prochaine fois.

Apprends-lui plutôt à nager.

Que tu aies le temps ou pas

La prochaine fois il ne se noiera pas.

 

Savoir :

 

Ne montre jamais tout ce que tu sais : tu montrerais ce que tu ignores.

 

Sensibilité :

 

L’écorché vif jouit, si l’on peut dire, d’une sensibilité proverbiale, bien supérieure, en tout cas, à celle de l’écorché mort.

 

Silence :

 

Les grands mutismes sont douloureux.

 

Mieux vaut laisser penser que l’on ignore en se taisant

Que le montrer en parlant.

 

Il est plus facile à l’homme d’apprendre à parler que d’apprendre à se taire.

 

Le silence peut cacher une insuffisance

La parole peut montrer ta suffisance.

 

Soleil :

 

Le Soleil attend-il le jour pour briller ?

 

Spiritisme :

 

Présence d’esprits.

 

 

Staline :

 

A Quoi bon se faire prêtre si l’on peut se faire dieu ?

(Pensées secrètes et inédites d’un jeune séminariste, par Joseph Vissarionovitch Dougachvili.)

 

Suffisance :

 

Les gens qui ont l’esprit le plus creux sont si pleins d’eux-mêmes qu’on les dit « suffisants ».

 

Suicide :

 

Qui bien se pend jamais ne se repent.

 

Synonymie :

 

Pourquoi « à mon endroit » signifie-t-il « envers moi » ?

 

Temps :

 

Le temps est une manière de décrire l’espace.

 

Nous différons des pendules en ceci

Qu’elles marquent le temps,

Alors que c’est le Temps qui nous marque.

 

C’est l’été

Et sur la place

On prend une glace ou un café.

Le temps passe

Il est passé.

 

Il y a un temps pour courir, et un pour se demander pourquoi on courait.

 

Rien ne sert de courir plus vite d’une jambe que de l’autre.

 

Rien de ce qui dure n’est éternel.

 

Celui qui prend son temps prend souvent aussi celui d’autrui.

 

Le présent est dur, mais le passé est ductile, et le futur malléable.

 

C’est dans les temps morts que le temps est le plus difficile à tuer.

 

Il est un temps pour que la brebis tonde, et un temps pour qu’elle soit tondue.

 

Comme le vent chasse le vent,

le jour qui vient chasse le jour présent.

 

Le temps balaie tout… et nous sommes poussière…

 

Tête :

 

Tête peu dure dure peu.

 

Toilette :

 

Dans le bidet

Son postérieur

N’était plus de première fraîcheur,

En l’occurrence.

 

Totalité :

 

Tout est dans tout, sauf Rome, qui n’est plus dans Rome, et réciproquement.

 

Trahison :

 

Traître, tu t’es trahi !

 

Tralala :

 

Le jour où ta tata rata ton rata

Le jour où Marion délira

Le jour où tu te dérideras…

Silésie, s’il les a, lève la patte et puis s’en va.

 

Travail :

 

Jeu demain travail aujourd’hui.

 

Le notaire avait une fille et un fils. Il fit un clerc de l’autre, ne pouvant faire un clerc de l’une.

 

C’est en cirant qu’on devient ciron, en polissant qu’on devient polisson, et en lisant qu’on devient liseron.

 

Parmi les vieux métiers en voie de disparition, signalons le salsificateur de scorsonères (parfois quelque peu malhonnête) et le chouraveur de navets, aujourd’hui largement supplanté par le plagiaire.

 

Quelques petits métiers :

L’emboîteur de pas.

L’emballeur de chevaux.

L’éleveur de protestations.

Le cultivateur de ressentiments.

Le passeur à tabac.

Le restaurateur de monarchies.*

Le coupeur de vins.

Le livreur de passages.

Le lieur de gerbes.

Le gerbeur de colis.

Le collisionneur de particules.

 

Le typographe est homme de caractères.

 

Plutôt fourreur demain que moureur de faim.

 

Il faut bien se rendre au travail, certes, mais pas de reddition inconditionnelle.

 

L’ouvrier vit de son travail.

Son patron aussi, dit Marx.

 

Univers :

 

Il serait tout de même bien étonnant que l’Univers ait un jour le bon goût de se borner à ce que nous en connaîtrons.

 

Valeurs :

 

Ceux qui commettent des bassesses pour faire fortune n’ont parfois que ce qu’ils méritent, tel ce Judas qui vendit son ami, homme de grande valeur, pour trente deniers, et qui se pendit lorsqu’il comprit qu’il aurait pu demander beaucoup plus.

 

Vent :

 

« L’esprit souffle où il veut. »

Maxime à l’usage des esprits vifs

et des cerfs-volants.

 

Vérité :

 

On ne saurait dire ce qu’on ignore, mais rien n’empêche de le faire que la sagesse et l’honnêteté.

 

Le menteur se coupe, le bon vin pas.

C’est pourquoi la vérité réside là.

 

Il faut l’aimer suffisamment pour comprendre

qu’on ne la possède pas tout entière.

 

Au-delà du fleuve Doute s’étend le pays de Certitude, non pas celui de Vérité.

 

Vie :

 

Par bonheur, la mort n’est qu’une illusion.

Par malheur, la vie aussi.

 

Quel que soit ton train de vie

Dans le train de la vie

Tu n’as qu’un aller simple.

 

La vie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux hommes.

C’est pourquoi elle leur est reprise.

 

Papa pourquoi la vie est-elle si dure ?

- Pour que tu ne sois pas mou.

 

Vieillissement :

 

Vieilles peaux s’exfolient.

 

Ville :

 

Dans le bleu nuit des toits de Paris

S’ouvrent des lucarnes oranges

Des gens y mangent

D’autres s’y changent

Et c’est étrange

Et familier.

 

Vitesse de la lumière :

 

L’étoile à notre insu

Nous apparaît

Pour ce qu’elle fut.

 

Voyous et voyelles :

 

Le mac est un mec comme Mick : il se moque bien de tes muqueuses à mycoses !

 

Xénophobe :

 

Rien de ce qui est étranger ne lui est humain.

Partager cet article
Repost0
31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 17:00

Dans une interview de deux minutes à France-info, l'Ambassadeur de France au Caire commet deux lapsus. (Voir sur le site de France-Info les 39 premières secondes.)

Il recommande aux Français expatriés au Caire de "respecter le cessez-le-feu". C'est à croire que ce sont tous des Rambo. Un peu plus loin, il dit que la police brille par son absence, mais que des citoyens égyptiens organisent la vigilance et "prennent eux-mêmes en mains leur sexualité". Ou alors c'est mon oreille qui aura fourché.

Je me demande si Son Excellence fera distribuer des capotes à nos compatriotes, faute de les convaincre de cesser de tirer?

Partager cet article
Repost0
31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 16:56

Ceci est le premier article de votre blog. Il a été créé automatiquement pour vous aider à démarrer sur OverBlog. Vous pouvez le modifier ou l'effacer via la section "publier" de l'administration de votre blog.

Bon blogging

L'équipe d'OverBlog

PS : pour vous connecter à votre administration rendez-vous sur le portail des blogs OverBlog

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Elie Minnot
  • : Aphorismes, nouvelles brèves, petits articles. Humour, humeur.
  • Contact

Recherche

Liens